Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La journée de demain, suivant les avis qui nous viennent de toutes parts, et les dispositions préparées depuis longtemps, peut être notre dernière ; dans tous les cas, elle ne sera pas inutile au salut de la République, et notre chute apprendra aux départements quels dangers ils doivent combattre.

Adieu, mon frère ; j’ai trop peu de temps pour dépenser beaucoup de paroles : mais je suis ce que vous m’avez toujours connue, dévouée à mes obligations que j’aime, appréciant la vie pour les biens de la nature, les jouissances de la vertu, mais la trouvant assez laborieuse pour la quitter sans regret, et m’étant trop habituée à mépriser la mort pour jamais la fuir ou la craindre. Je laisse à ma fille de bons exemples, une mémoire chérie ; son père y joint quelque gloire ; il lui reste en vous et Mlle Mignot de sages guides. Elle aura de la fortune ce qui suffit au bonheur. Puisse-t-elle juger, sentir et profiter de tout avec une conscience toujours aussi pure et une âme aussi expansive qu’auront été celles de ses parents.

    Bernardins ; qu’elle était « maîtresse de clavecin » et qu’elle était entrée chez les Roland le 13 août 1792, « pour y enseigner la musique et le clavecin à la fille Roland qui était confiée à ses soins en qualité d’institutrice… », et les avait quittés vers le 20 mai 1793.


    Rien n’égale d’ailleurs la sottise féroce de cette déposition.

    Champagneux a publié (Disc. Prélim., xxxix-xli l’acte par lequel Roland et sa femme confiaient leur fille à cette indigne créature en lui assurant un sort. Voici ce document :

    Nous, soussignés, réunis dans les sentiments qui n’ont cessé de nous animer l’un et l’autre, considérant que l’incertitude ordinaire des événements est encore augmentée par la situation politique de l’empire, et celle de la capitale en particulier ; considérant que le premier devoir d’un homme public est de rester à son poste tant qu’il peut y être utile, et résolus de demeurer toujours là où nous veut la patrie ; mais jugeant que rien ne nous oblige à faire courir les mêmes hasards à notre enfant chéri, nous avons arrêté de le confier à Mlle Mignot, qui s’est déjà chargée de son éducation, et de l’envoyer dans le domaine rustique de la famille, loin du théâtre de la guerre, attendre des jours plus heureux, en cultivant, dans cette retraite paisible, ses facultés morales, et se préparant aux revers sans les craindre, comme à la prospérité sans l’ambitionner, à l’exemple de ses parents, qui auront vécu dans reproche et sauront mourir sans terreur. Nous nous reposons avec confiance sur les soins affectueux et la bonté éclairée de Mlle Mignot. Nous voulons qu’elle jouisse, sur notre chère Eudora, de tout l’ascendant que doit lui acquérir son caractère respectable, et qui est absolument nécessaire à la suite de l’éducation. Mlle Mignot partagera l’existence et les moyens de son élève ; et après huit années révolues, il lui sera payé annuellement, sur nos biens, 1,000 francs de rente viagère, dont elle jouira avec la plus parfaite indépendance.

    Paris, le 25 décembre 1792.

    J.-M. Roland, Roland, née Phlipon