Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fin. Il y a des projets désastreux contre Louis, pour avoir une occasion d’aller jusqu’aux députés et de comprendre le ministre de l’intérieur dans ce massacre. Les avis se multiplient, et les divers renseignements attestent que le complot existe. Les mesures de prudence le déjoueront-elles ? C’est la question. J’ai fait partir ma fille pour la campagne[1] et disposé mes petites affaires comme pour le grand voyage, et j’attends l’événement de pied ferme. Nos institutions sociales rendent la vie si laborieuse pour les cœurs honnêtes, que ce n’est pas une grande perte à faire, et je me suis tellement familiarisée avec l’idée de la mort, que je vais au-devant des assassins, s’ils arrivent, persuadée d’ailleurs que s’il est une chose au monde qui puisse les détourner, c’est le calme du courage et le mépris de leurs coups : M. R. [Roland] qu’un érésipèle a la jambe retient depuis dix jours au lit ou dans sa chambre, se traînant dès le matin au Conseil, qui siège aux Tuileries, et qui sera permanent tant que Louis sera hors de sa prison[2]. Les avis d’assassinat pleuvent sur ma table, car on me fait l’honneur de me haïr, et je vois d’où cela vient. Lorsque, dans les quinze premiers jours du ministère, le scélérat Danton avec l’hypocrite Fabre nous environnaient continuellement[3] en singeant l’amour du bien et de l’honnête, ils m’ont pénétrée ; et sans que j’aie jamais rien, dit ni fait pour confirmer leur opinion, ils ont jugé que je tiens quelquefois la plume[4]. Cependant les écrits de M. R. [Roland] ont produit quelque effet. Donc, etc…

L’aboyeur Marat, lâché dès lors après moi, ne m’a pas quittée d’un moment ; les pamphlets se sont multipliés et je doute qu’on ait publié plus d’horreurs contre Antoinette, à laquelle on me compare et dont on me donne les noms, qu’on ne m’en attribue chaque jour. J’ai gardé le silence qui me convenait, sans autre réponse que ma persévérance dans mes devoirs et mon caractère ; leur

    la situation de la ville et de la force publique (Schmidt, t. I, p. 103), et la Commune interdit, pour prévenir les rassemblements nocturnes, la célébration de la messe de minuit (Moniteur du 25 décembre).

  1. Voir la lettre suivante. Ce projet de renvoyer Eudora au Clos avec sa gouvernante n’eut pas de suite.
  2. Les procès-verbaux du « Conseil exécutif provisoire » constatent l’absence de Roland aux séances depuis le 15 jusqu’au 20 décembre. Il est présent le 21 et le 24 (Aulard, Salut public, t. I). — On remarquera que la phrase n’est pas construite.
  3. Cf. Mém., I, 88, 95, et ls. 4697, cahier Danton.
  4. Mém., t. I, p. 96 « …Peut-être aussi augurèrent-ils qu’elle pouvait quelquefois tenir la plume… » Cf. le passage de l’Histoire des Brissotins où Camille Desmoulins, l’ami de Fabre et de Danton, attribuant à Roland un des placards du temps, affirme « qu’on en a vu l’épreuve sur son bureau corrigée en entier de la main de sa femme ».