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ceux qui avaient pris les armes et qui sont entrés en ennemis sur notre territoire, pour en apprécier la nécessité, la justice.

Les bons esprits cherchent à en tempérer l’effet pour les innocents, par des amendements qui ont échoué ces derniers jours[1] et qu’il faut peut-être abandonner jusqu’à un moment plus calme, mais qui seront faits certainement.

Je ne vous entretiendrai pas de notre situation politique ; nos communications ont été trop longtemps suspendues pour qu’il soit possible de se remettre au courant par une lettre. D’ailleurs, je ne puis me livrer au plaisir de vous entretenir longuement ; mes jours s’écoulent avec une rapidité qui me fait soupirer pour la paix de l’obscurité et les doux loisirs de la retraite.

Nous avons été dans des situations très diverses, mais nous sommes restés toujours les mêmes dans les plus grands changements. Aimant la liberté, parce qu’elle est nécessaire au bonheur et à la perfectibilité de l’espèce humaine ; sacrifiant au bien de tous les intérêts particuliers, parce que c’est le premier devoir de l’homme en société ; disant la vérité sans réserve et pratiquant la justice sans crainte ; indifférents à la vie, à la mort, employant l’une pour sa conscience et attendant l’autre pour son repos.

Je joins ici une petite collection des derniers écrits de notre ami ; ils vous intéresseront par leur rapport avec notre état intérieur et le nôtre propre.

Donnez-nous quelquefois de vos nouvelles, conservez-nous votre amitié et recevez avec affection les assurances de l’éternel attachement que nous vous avons voué.

Je ne vous dis pas combien votre portrait m’a fait plaisir ; c’est en vous envoyant celui de mon mari que je veux vous en remercier ; mais je n’en ai pas encore un de bien fait, et j’aurai recours aussi au physionotrace[2].

Rappelez-nous au souvenir de votre chère famille et admettez-nous aux commémorations que vous y faites de ceux qui vous chérissent et que vous aimez.


Roland, née Phlipon.
  1. Dans la séance du 17 novembre, c’est-à-dire la veille du jour où cette lettre fut écrite, Manuel avait proposé un amendement en faveur des « revenans ». L’amendement fut ajourné, et la Patriote du 18 novembre le regretta.
  2. Procédé bien connu, alors très en vogue. — Voir note Appendice V.