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LETTRES DE MADAME ROLAND.

me voir de temps en temps ; mais c’est toujours en haut le lieu de l’assemblée du soir ; la cadette aime singulièrement à s’y tenir ; l’aînée voulait que je ne me déplaçasse point ; j’ai cru qu’il était mieux de me rendre où l’autre se plaisait d’être. Je te vois dans tous les coins et j’ai bien de l’impatience de t’y embrasser.

As-tu été dans la famille Cannet ? Tu voudras bien dire beaucoup de choses pour moi là, et où l’on te parle de ma petite personne. Écris-moi, mon bon ami ; je t’adresse directement, car il m’ennuierait que ma lettre fût longtemps a te parvenir ; j’aime mieux en retarder l’envoi pour répondre à celle que j’attends et qu’elle te soit expédiée ensuite sans retardement. Tout le monde t’aime et me parle de toi sur ce ton ; je le trouve bien juste et j’en sais bon gré, pour eux, à ceux qui font ainsi, car tu n’en vaudrais pas moins s’ils ne le disaient et ils prouveraient seulement alors qu’ils n’auraient pas de sens commun ; mais ils ont beau te connaître et t’aimer, ils ne sauraient le faire aussi bien que moi. Mio dolce amico, scrivi mi, dimmi che m’ami sempre, che sogni a me ; dimmi tutto questo che tu senti, e sarò contenta. Addio ; t’abbraccio teneramente ed aspetto le tue nuove come il mio ristoro.

Le même jour à midi. On a envoyé à la poste pour ma satisfaction ; j’étais si pressée d’avoir ta lettre ! c’était une envie de femme grosse et puis encore d’une femme… tu sais ? Je me suis enfermée pour te lire ; je t’ai lu, relu, puis lu encore ; puis pleuré. Dieu sait ! Je ne saurais tenir ma plume : je baise ta lettre ! tu l’as touchée, cette feuille où ton cœur se peint, ce cœur si tendre, si honnête, où je me réfugie, où seul je me plais d’exister. Peux-tu présenter au mien des tableaux plus touchants ! Mais pourquoi m’offrir un moment affreux ? Tu es cruel à force de tendresse, tu me navres et m’enivres à la fois… Je suis enchantée que tu aies reçu des nouvelles de la famille ; dis, exprime tout ce que tu sais que je sens pour elle. Non, mon ami, je n’aurais pas cru qu’il fallût tant d’esprit pour cela ; mais comme j’en voyais assez dans notre communauté dont tu faisais les fonds, sans qu’il en arrivât