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ordre de choses s’ouvrant pour nous dans cette grande réduction de fortune, il s’agissait de voir si nous nous retirerions absolument à la campagne ou si nous chercherions un autre parti : La retraite est sage, elle est douce pour la philosophie ; mais notre manoir rustique est une véritable thébaïde, difficile dans son accès, sauvage par sa nature, sans voisinage ; c’est une solitude dans laquelle on ne peut plus faire société qu’avec sa basse-cour. Pour un homme habitué à la vie publique, à communiquer avec des esprits cultivés, ce genre de vie ne doit pas être embrassé sans réflexion ; d’ailleurs, nous n’avons qu’une fille, mais elle existe, et l’on ne viendrait pas la chercher dans un désert. Obligés de venir à Paris pour nos affaires, nous avons arrêté d’y passer sept à huit mois, durant lesquels nous chercherons à faire quelque chose d’utile, et si cela réussissait, ce serait un moyen de fixer notre séjour ici, où l’activité, le goût, les connaissances trouvent toujours à s’exercer malgré les rumeurs politiques. Nous songeons à un écrit périodique, absolument consacré à l’agriculture, aux arts et au commerce[1], intéressant pour les étrangers mêmes par la nature de ces objets, et indépendant de toutes les circonstances politiques. Nous avons pensé que vos goûts et vos connaissances, joints à l’ancienne amitié, nous procureraient soit par vous, soit par vos correspondants et vos liaisons, des facilités et des moyens. Vous aviez écrit à notre ami pour son association à votre Société des Arts ; qu’est-ce que cela est devenu ? Vous êtes sans doute en rapport avec des savants de la Suisse et de l’Allemagne, et vous pourriez nous y mettre ? Quels sont, à votre avis, les journaux de ces deux pays qu’il nous importerait de connaître ? et oû pensez-vous que nous pourrions, d’une part, nous procurer d’intéressants matériaux, de l’autre, nous assurer des débouchés ?

  1. Ce journal, dont panckoucke devait être l’éditeur (Souvenir de Sophie Grandchamp, Révol. franc. du 14 juillet 1899), devait d’appeler le Journal des Arts utiles (Mém, t. I, 67). La nomination subite de Roland au ministère lui fit abandonner ce projet : « Il avait sous presse un Journal des Arts, dont il allait s’occuper uniquement », écrit Madame Roland à Champagneux, le 23 mars 1792. Nous présumons que c’est la publication annoncée par Panckoucke dans le Moniteur des 28 février et 1er mars 1792, et qui passe alors en d’autre mains (voir Moniteur du 4 avril).