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À ALBERT GOSSE, À GENÈVE[1].
29 janvier 1792, — de Paris.

Il y a des siècles que nous n’avons eu de nouvelles les uns des autres ; auriez-vous oublié vos vieux amis ? je ne puis le croire, et c’est dans la persuasion du contraire que je reprends une correspondance trop longtemps suspendue. Le tourbillon des affaires publiques entraîne tout en France, soit dans un sens, soit dans l’autre ; il y a peu d’individus qui puissent y échapper. Indépendamment de l’opinion si violemment excitée et prononcée, pour chacun, d’une façon si distincte, l’état ou la fortune, atteint ou menacé, fournit à tous des raisons d’intérêt aux mouvements généraux. Je ne sais si vous avez bien suivi les périodes de notre Révolution ; j’en doute, non seulement parce que votre situation et vos affaires vous y laissant étranger n’ont pu vous porter à l’étudier sérieusement, mais aussi parce qu’il est impossible de juger les événements et leurs effets à certaine distance du foyer. Cela est vrai même pour nos provinces éloignées, à plus forte raison pour un État voisin. Je n’entreprendrai donc pas de disserter avec vous sur cet objet, il faudrait des volumes, tandis qu’une conversation nous mettrait mieux au courant ; ainsi bornons nos communications à ce qui nous touche personnellement.

Je vous ai marqué, par mes précédentes, si elles vous sont parvenues, le long séjour que nous avions fait ici l’année dernière et notre retour dans nos foyers champêtres, avec l’idée de ne plus les quitter de longtemps. Les circonstances ont changé ces projets. La place de notre ami supprimée, la nécessité de solliciter une pension ou secours, bien méritée après environ quarante ans de travaux, mais rendue problématique à quelques égards, nous ont rappelés ici. Enfin, un nouvel

  1. Ms. 9533, fol. 163-164.