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Les Roland, en quittant le ministère, se retirèrent dans le petit appartement de la rue de La Harpe, dont ils n’avaient pas encore pris possession. Quelle fut leur attitude durant ces deux mois ? Prirent-ils une part active à la lutte que la majorité de l’Assemblée (disons cette fois le parti girondin)[1] allait engager contre la cour, — ou bien restèrent-ils dans la réserve, laissant faire sans eux le 20 juin et le 10 août ? La réponse ne parait pas douteuse, quoi qu’en aient dit Madame Roland (Mém., I, 85) et Roland lui-même (Girardot, p. 90). Comment croire qu’elle se serait résignée à disparaître ? D’ailleurs, le peu de données qui nous restent nous la montrent irréconciliable. C’est à ce moment-là que Barbaroux va chez eux[2] ; Lanthenas est signalé parmi les agitateurs qui préparèrent le 10 août[3] ; en tout cas, c’est lui, de l’aveu de Madame Roland elle-même, que Pétion envoya deux fois, le 10 août, de la Mairie à l’Hôtel de Ville, pour demander à être gardé « par une force importante », afin de n’avoir pas à s’opposer à l’insurrection (Mémoire, I, 991.).

Mais le fait le plus significatif est la lettre du 7 juillet 1792, adressée par Madame Roland à Bancal (revenu à Paris depuis le commencement de juin) :

« Vergniaud sera-t-il chez Mme Dodun ? Dans le cas de l’affirmative, ne craignez pas de lui dire qu’il a beaucoup à faire pour se rétablir dans l’opinion, si tant est qu’il y tienne encore en honnête homme, ce dont je doute. » À quel propos ce sanglant reproche ? Quel était le crime de Vergniaud ? Rien autre que son magnifique discours du 3 juillet, où, tout en adressant au Roi une sommation dernière, il laissait la porte ouverte pour un rapprochement entre la cour et son parti. Évidemment, Madame Roland connaît ou du moins soupçonne[4] les négociations secrètes engagées alors entre Louis XVI et la « dépu-

  1. L’expression, on l’a bien remarqué, est toute moderne ; mais on disait déjà alors « la députation de la Gironde ». (Voir Patriote du 20 mai 1792 et passim)
  2. Mém. de Barbaroux, p. 331 et 336, et surtout 339, où l’on voit que Roland était au courant de la marche du bataillon Marseillais sur Paris.
  3. De Goncourt, Société française pendant la Révolution, p. 189 : « Avant le 10 août le caveau (au Palais-Royal) est le lieu de réunion des Fédérés, et Lanthenas les y régale de bière et de liqueurs (Journal à deux liards) »
  4. Elle déclare toutefois (Mém., I, 296) que Roland a ignoré la lettre de Gensouné à