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[À CHAMPAGNEUX, À LYON[1].]
31 juillet 1791, — de Paris.

Malebranche reprochait aux Français de donner tout à la vraisemblance, et de s’écarter ainsi de la vérité ; ils n’ont point encore changé : ils donnent tout à la confiance, et c’est ainsi qu’on perd la liberté. Il est vrai que cette confiance est infiniment commode ; elle dispense du soin de veiller, de penser et de juger ; elle prête même un voile heureux à l’amour-propre, qui s’honore d’elle comme d’une vertu pour caresser sa paresse. Mais, encore une fois, il est impossible de conserver ses droits si l’on n’est continuellement aux aguets des hommes commis à l’exercice des plus importants ; le gouvernement représentatif devient bientôt le plus corrompu des gouvernements, si le peuple cesse d’inspecter ses représentants. Je vous j’ai dit il y a bien longtemps : ce n’est pas l’Assemblée qui a fait la Révolution, c’est la force des choses et de l’opinion. Tant que la nation en activité a développé cette opinion d’une manière puissante, l’Assemblée a fait de bonnes et grandes choses. Du moment où la nation, tranquillisée par ses premières victoires, a cessé de modifier habituellement l’Assemblée, celle-ci est retombée dans la langueur et la médiocrité qui lui sont propres, et auxquelles l’usage de l’autorité, les progrès de la corruption ont ajouté les plus funestes éléments. Depuis huit à neuf mois, l’Assemblée, à l’exception de quelques bons décrets, dont je pourrai vous donner l’histoire, n’a fait que saper et détruire, par les détails, les bases et les effets de la Constitution. Aujourd’hui qu’elle réunit et exerce tous les pouvoirs, elle est gouverné, séduite ou entraînée par une coalition qui s’entend avec la Cour et qui prépare des altérations plus grandes encore. Croiriez-vous que, dans certains Comités, on forme le projet de

  1. Ms. 6241, fol. 98-99. — Voir Révolution française de 14 août 1895.