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Lundi 18.

Le deuil et la mort sont dans nos murs ; la tyrannie s’est assise sur un trône souillé de sang ; elle étend son sceptre de fer, et il n’y a plus de liberté dans Paris que pour les gardes nationales qui veulent égorger leurs frères. Des citoyens s’étaient rendus au Champ de Mars, dans le dessein paisible d’y entendre lire et d’y signer une pétition pour demander la nomination des députés à la prochaine législature ; la municipalité avait été prévenue suivant les règles ; tous étaient sans armes et sans bâtons ; des femmes portant ou conduisant leurs enfants composaient une grande partie de cette assemblée, faite sous les cieux, autour de l’autel de la patrie, dans un lieu ouvert de toutes parts et dans la confiance des plus saints des droits, des plus justes sentiments. Deux hommes sont trouvés cachés dans la charpente où ils s’étaient introduits en levant des planches : ils s’occupaient, sous la partie où l’autel est élevé, à faire, des trous çà et là sous les pieds des spectateurs ; on s’en aperçoit, on les saisit, on les conduit à une municipalité voisine ; ils étaient munis d’eau-de-vie et d’eau forte ; ils s’obstinent à taire leur dessein et quelques hommes furieux s’emparent d’eux et les pendent. On fait conduire du canon sur les lieux ; trois officiers municipaux s’y rendent, ils trouvent le calme rétabli ; ils écoutent la pétition, avouent qu’elle est sage, disent qu’ils la signeraient s’ils n’étaient pas en fonctions et qu’ils vont faire retirer le canon ; ce qui fut effectué. Tout ceci se passa avant trois heures.

Dans l’après-midi, beaucoup de personnes augmentèrent le concours et prirent le Champ de Mars pour le but de leur promenade. Tout à coup une nouvelle artillerie arrive, dix canons sont rangés devant l’École Militaire ; un corps de troupe paraît et le drapeau rouge est au milieu ; nulle sommation n’est faite aux citoyens assis et signant sur l’autel ; les trois sommations prescrites par la loi sont négligées ; la première décharge, qui doit être à poudre, est à balles, cinq à six autres suivent, la cavalerie court sus à ceux qui fuient, le sabre atteint ceux que les balles ont épargnés, et c’est ainsi qu’on met en déroute le tranquille troupeau d’honnêtes gens assemblés sur la foi publique. La générale avait été battue dans tout Paris pour y répandre l’alarme et faire croire à une émeute ; les corps de gardes se multiplient, tout se hérisse de baïonnettes, les Jacobins sont investis et une petite porte environnée de soldats est laissée pour seule issue ; le Palais Royal est rempli d’hommes armés, tenant leurs armes hautes, présentant la baïonnette au moindre groupe ; le bataillon des enfants y est employé au même usage et l’on prostitue la jeunesse à se