Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

444

[À BANCAL, À CLERMONT[1].]
Dimanche 17 juillet 1791, — [de Paris].

Les affaires se brouillent de plus en plus ; il est possible qu’avant huit jours nous soyons ici en pleine guerre civile. Hier au soir, l’Assemblée a décrété que Louis XVI demeurait suspendu jusqu’à la fin de la Constitution, qui lui serait alors présentée pour être acceptée oui ou non ; vous jugez de l’indignation qu’inspire une telle comédie et des mécontentements qui germent de toutes parts. Ce n’est pas la seule farce indécente qu’on fasse jouer : le Département a paru à la barre ; les ministres doivent aller dans l’Assemblée pour rendre compte aux législateurs et débiter de grands mots convenus d’avance avec eux sur leurs grands travaux, leur grande vigilance, le bon état de toutes choses et l’ordre admirable des finances.

Quand on voit, d’une part, la force de la coalition qui tient à sa disposition l’argent, les correspondances extérieures, tant d’hommes armés, tant de corps administratifs, et, de l’autre, la masse imposante d’une grande portion du peuple et du petit nombre des meilleurs citoyens, on ne voit qu’ébranlements, secousses terribles et dénouement incertain. Hier, on lut au Champ de Mars la pétition des Jacobins offerte aux citoyens ; elle ne contient que la demande du vœu des 83 départements pour prononcer sur le sort de Louis XVI et le remplacer d’une manière constitutionnelle ; cette dernière phrase éloigne bien des gens qui y voient l’élévation d’un enfant au trône et la régence d’un ambitieux ; elle est de Laclos[2], voué aux d’Orléans, et personne n’a pu la faire réformer.

Aujourd’hui, l’on doit rédiger une autre pétition pour la convocation de la prochaine législature ; on attend cent mille hommes au Champ de Mars.

La faction régnante, ne redoutant rien que l’opinion et l’influence des Jacobins pour la former, vient d’élever un autre club aux Feuillants, afin de balancer

  1. Lettres à Bancal, p. 288 ; — ms. 9534, fol. 148-151.
  2. Choderlos de Laclos (1741-1803), l’auteur des Liaisons dangereuses et l’âme damnée du duc d’Orléans, trop connu pour qu’il y ait lieu de rappeler ici son rôle pendant la Révolution. Il suffira de renvoyer, pour voi avec quelle sévérité Madame Roland la jugeait, aux Mémoires, t. I, p. 62-63, etc.