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d’hommes épars, tel talent et telle énergie qu’ils aient. Il faut de l’ensemble et un plan ; c’est le défaut de l’un et de l’autre qui a anéanti les patriotes de l’Assemblée, dont la réunion se réduit à trois ; ce sera encore le défaut d’une grande coalition qui empêchera la France de devenir libre. Toutes les passions, tous les intérêts sont en jeu, tous les ambitieux s’unissent, et si la vertu ne se fait un parti, il faudra bien qu’elle succombe. Or un parti, quel que soit son but, ne se fait que d’une manière, par l’unité d’action d’un nombre d’hommes dévoués au même objet et d’intelligence dans la recherche ou l’emploi de tous les moyens de réussir.

J’ai le cœur trop rempli, la tête trop agitée pour vous entretenir plus longuement. Adieu.


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[À BANCAL, — À CLERMONT[1].]
16 juillet 1791, — de Paris.

Votre lettre du 12 m’est parvenue hier ; je vous avais écrit le matin dans l’inquiétude et l’agitation qui partageaient tous les bons citoyens. L’Assemblée s’est séparée à près de quatre heures ; elle a voulu persister dans la disposition de ses Comités, sans oser nettement braver l’opinion publique qu’elle n’a cependant pas suivie. Le Roi est mis hors de cause négativement, c’est-à-dire que cela n’est pas précisément exprimé. La question était de savoir qui l’on renverrait par-devant la Haute Cour nationale à cause de l’évasion du Roi, et l’on n’y a renvoyé que trois personnes subalternes, de manière que l’on désigne et livre à la justice des complices sans avoir de coupable et sans constater le délit. On a évité de prononcer sur la personne de Louis XVI, quoique Robespierre ait fort bien dit que, l’intention de l’Assemblée étant évidemment de mettre le Roi hors de cause, suivant le mode dans lequel la discussion avait commencé, il fallait qu’elle l’exprimât clairement, parce qu’une loi ne doit jamais être obscure. Mais les lâches, qui pourtant s’étaient préparés à répandre du sang, ont été effrayés de la sagesse du peuple et ont espéré réussir en voilant leurs intentions d’une ambiguïté dont personne n’est dupe, malgré quelques articles préparatoires qui ont l’air de prévenir une

  1. Lettres à Bancal, p. 285 ; — ms. 9534, fol. 146-147. — Bancal a écrit en marge : « Rép. le 19. »