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projet du Comité et la consultation du vœu des assemblées primaires ; aujourd’hui, immanquablement, on prononce la honte de la France et l’on entre dans la carrière de son nouvel esclavage ou des troubles les plus affreux. Dans le moment où je vous parle, des hommes gagés environnent la statue de Henri IV et la couronnent de fleurs.

Nous trouvâmes, en rentrant mardi soir, votre dernière lettre, et nous la fîmes passer à Brissot pour décider l’impression des réflexions que M. Caldaguez[1] apporta ; Brissot prit le tout et partit pour la campagne sans rien livrer à l’impression. Nous l’attendions hier matin ; il n’était pas revenu le soir, et nous envoyons actuellement chez lui, vraiment inquiets de sa personne.

Marat est mourant ; on le dit empoisonné, comme beaucoup de gens assurent que l’a été Loustallot.

[Ce qu’il y a de certain, c’est que les mouchards de Lafayette exercent la plus horrible inquisition et sont toujours prêts à faire un mauvais parti à quiconque ne fait pas son éloge, ou prêche le peuple trop vivement[2].] Si les provinces ne nous sauvent pas, je ne sais ce que nous deviendrons. Il faudrait que les corps électoraux fussent bons, qu’ils s’assemblassent sur-le-champ et nommassent les nouveaux législateurs, puis que les assemblées primaires convoquassent ceux-ci avec pouvoir de continuer la Constitution.

L’Assemblée actuelle n’est pas prête à révoquer son décret de suspension ; elle veut tout régler, tout assujettir avant de se retirer. Je ne cesse de le dire depuis six mois : elle est devenue incapable de faire autre chose que d’annuler la Déclaration des droits par des lois vicieuses ; la conserver, c’est maintenir les instruments de nos maux.

Je serais embarrassée de vous dire où vous serez le plus utile ; dans une pareille confusion, il est difficile de le distinguer. Cependant je suis, comme toujours, persuadée que c’est par un grand rapprochement de lumières, de soins et d’actions qu’on peut produire d’effet, bien plus que par l’activité

  1. Caldaguez était un imprimeur, rue Bertin-Poirée. Il s’agissait de lui faire réimprimer les « réflexions » que Bancal avait fait voter par la Société des Amis de la constitution de Clermont, les 23 et 24 juin, pour proposer la République, sans toutefois en prononcer le nom, et, le 3 juillet, contre le décret du 24 juin qui ajournait les élections législatives. — Voir au ms. 9534, fol. 256, une lettre de Lanthenas à Caldaguez, du 13 juillet, sur cette affaire ; cf. lettres 440 et 443, ainsi que la lettre 446, qui nous apprend que la réimpression n’eut pas lieu.
  2. Le passage que nous mettons entre crochets a été bâtonné dans l’autographe.