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s’éteindre ; les derniers événements l’ont alimenté, les lumières de la raison se sont unies à l’instinct du sentiment pour l’entretenir et l’augmenter ; il faudra bien qu’il dévore jusqu’aux restes du despotisme et qu’il fasse crouler tous les trônes. Je finirai de vivre quand il plaira à la nature, mon dernier souffle sera encore le souffle de la joie et de l’espérance pour les générations qui vont nous succéder.


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À M. HENRY BANCAL, À CLERMONT-FERRAND[1].
Vendredi, 15 juillet 1791, — de Paris.

Je vous peindrais difficilement, mon triste ami, la situation où nous sommes. Je vous ai écrit lundi dans l’espèce d’espoir que m’inspirait la manifestation aux Jacobins d’une opinion saine qui avait enfin triomphé. L’après-midi du même jour fut consacré à la pompe triomphale de Voltaire ; le peuple montra un vif intérêt à cette fête noble et touchante qui semble prédire la ruine entière de la superstition et le règne de cette justice qui défère les honneurs publics aux services rendus à la patrie. L’activité des Sociétés patriotiques, les bons écrits, présageaient d’autre part des résolutions propres à influencer l’Assemblée nationale. Elle a commencé la discussion mercredi ; ce n’est que par des efforts extraordinaires que les honnêtes gens sont parvenus à la faire continuer jusqu’à aujourd’hui. Au milieu de l’inquiétude générale, on a cependant célébré les 13 et 14 juillet par le fameux hiérodrame et l’excellente musique exécutés à la cathédrale, et par la Fédération au Champ de Mars[2]. J’ai assisté à l’un et à l’autre, et j’ai cru voir, avec douleur, beaucoup plus de gens amoureux de spectacle, guidés par une curiosité frivole, que de personnes animées des sen-

  1. Lettre à Bancal, p. 278 ; — ms. 9534, fol. 143-145. Bancal a mis en marge : « Rép. le 19. »
  2. Les Révolutions de Paris, n° 105, p. 31, rendent compte des deux cérémonies. À celle de Notre-Dame, célébrée le 13 juillet, « on a éxécuté, pour la seconde fois, l’hiérodrame tiré des livres saints et dont le sujet est la prise de la Bastille ». Les paroles et la musique étaient du compositeur Marc-Antoine Désaugiers (le père du chansonnier). On entendit ensuite un violent discours du père Hetvier, et « un Te Deum, de Gossec, termina cette fête civico-religieuse », à laquelle La Fayette assistait. — Le 14, les corps constitués se rendirent de la place de la Bastille, par les Boulevards, au Champ de Mars, où Gobel dit la messe sur l’autel de la patrie, dont un des bas-reliefs représentait « le triomphe de Voltaire ».