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obtenir de certains endroits, c’est de les y envoyer toutes faites ; en conséquence, nous travaillons à qui mieux mieux. Brissot vient dîner avec nous aujourd’hui, nous causerons et lirons votre morceau ; je le trouve très digne d’occuper une place dans le Républicain dont je vous, envoie le premier numéro, et je crois qu’il y figurera bien.

Je vous ai désolé hier par la peinture de ce que font et veulent faire les Comités ; je n’ai rien à changer à cela ; mais il faut du moins que je partage avec vous la lueur d’espérance que j’ai vue apparaître aux Jacobins[1]. La séance devait être consacrée à l’examen de la question que fera-t-on de Louis XVI ? La cabale a déployé toute son intrigue pour écarter cet ordre du jour ; les plus violents orages se sont élevés, mais ils n’ont pu l’éviter. Petion a parlé très judicieusement, avec beaucoup d’adresse et de succès ; il a bien développé la marche que les Comités se proposaient de suivre, les subtilités dont ils voulaient se prévaloir, la grande doctrine décrétée de l’inviolabilité dont ils prétendaient s’appuyer en criant à la nécessité d’observer la Constitution ; car c’est devenu un mot de ralliement pour s’opposer à toute amélioration, pour conserver au contraire tout ce qui est en opposition avec ses bases et parvenir ainsi à la détruire effectivement à l’aide de ce qu’elle a de vicieux. Le vieux royaliste Prefeln a gâté sa mauvaise cause de manière à dépiter les Comités qu’il voulait défendre ; on ne peut être plus pitoyable en raisonnements, plus choquant en personnalité. Rœderer, par un très noble et très beau mouvement, est parvenu à faire accueillir avec applaudissements le nom de républicain qui jusque-là n’avait été reçu dans cette Société qu’avec des huées. Enfin le mépris pour le Roi, la volonté de l’écarter, l’indignation à la seule idée de le voir rétablir, se sont manifestés avec la plus grande énergie, malgré l’opposition du parti.

Il arrive déjà beaucoup d’adresses des départements qui annoncent les mêmes dispositions ; celle de Perpignan est si vive et si bien faite quon n’a pas voulu la lire à l’Assemblée nationale, et c’est ainsi qu’on évite les leçons auxquelles on ne veut pas se conformer. Les Jacobins ont décrété l’impression de celle de Die qui, sans être frappée au même coin de supériorité, exprime également les plus fières résolutions et de grandes vérités.

Nous ne sommes pas à l’abri d’une mauvaise décision, parce que les Comités sont assurés de la majorité dans l’Assemblée ; mais l’opinion publique me parait

  1. Voir dans Aulard, Jacobins, t. II, p. 596-598, le compte rendu de cette séance.