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Sociétés fraternelles en ont fait autant : nous serions à la plus belle époque, si, comme au mois de juillet 1789, nous n’avions ni gardes nationales organisées, ni marc d’argent décrété, ni ministériels bien concertés.

Les dispositions de l’esprit public sont excellentes, le moment est heureux : mais qu’est donc et que fera l’Assemblée ? C’est une autre question, dont les pronostics m’affligent profondément. Il paraît, d’après les aveux mêmes de Lafayette, publiquement faits et notamment à la barre, que, depuis la Pentecôte, lui, ses aides de camp, Bailly et le Comité des recherches savaient qu’il existait des projets d’une prochaine évasion ; les gardes étaient doublées seulement depuis dimanche et, par une fatalité bien singulière, elles étaient composées, dans la nuit du 20 au 21, de la même division qui était au château le 28 février, dans l’affaire des poignards, et le 18 avril, lancée la tentative du départ soi-disant pour Saint-Cloud. Un seul membre de l’Assemblée a voulu faire sentir la nécessité d’éclairer la conduite du commandant et des responsables ; cette motion a été écartée, surtout par Barnave et les Lameth (ceux-ci se sont réconciliés avec la Reine il y a huit jours), qui jamais n’ont mieux montré qu’hier une intime union avec d’André, Chapelier, Beaumetz[1]. On eût dit que, prévenus de ce qui est arrivé, ils avaient leur plan de conduite tout tracé ; ce sont eux qui ont tout fait, et la partie semblait liée pour ôter la parole à Robespierre, Petion et Buzot.

Quelles mesures a-t-on prises ? On a conservé tous les ministres, qui sont tous évidemment les ennemis de la Révolution et qui n’ont cessé de la trahir, à l’exception peut-être du Garde des sceaux, homme faible et sans caractère[2]. On a confié le soin des parties les plus importantes, de tout ce qui concerne notre action et notre défense, aux Comités diplomatique et militaire, unis aux ministres chargés des parties correspondantes ; à ces Comités dont les perfides lenteurs et la conduite plus que suspecte ont laissé préparer nos ennemis, négliger nos frontières, persécuter les soldats patriotes et maintenir l’armée dans une organisation détestable ; à ces Comités que les bons citoyens dénoncent depuis si longtemps, que l’opinion publique a flétris et qui devraient être punis si l’on pouvait exercer actuellement une justice contre eux. Que l’on nous fasse de belles proclamations pour nous exhorter à nous tenir sur nos gardes, que l’on décrète fastueusement que les citoyens sont invités à la vigilance, à l’union et à la confiance dans l’Assemblée, qui fait les plus touchantes pro-

  1. Briois de Beaumetz, député de la noblesse d’Arras.
  2. Duport-Dutertre.