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[À CHAMPAGNEUX, À LYON[1].]
Le soir du 27 mai 1791, — de Paris.

Je n’ai pu vous entretenir ce matin, notre bon et digne ami ; je prends la plume actuellement pour m’en dédommager. Vous demandez pourquoi vous n’avez plus de mes nouvelles ; j’ai été touchée de cette question et je m’empresse de vous témoigner combien j’y suis sensible. Je n’expliquerai point mon silence par des raisons de santé, quoique j’aie été malade depuis peu ; je ne vous rappellerai pas la préoccupation involontaire dans laquelle on vit ici et par laquelle on est comme entraîné malgré soi. J’aurais su trouver où prendre le moment de vous écrire, si j’avais eu de la satisfaction à partager avec vous ; mais je suis véritablement affligée de l’état de la chose publique, je répugne à dire tout le mal que j’en pense ; je ne veux point communiquer mes affections pénibles, si elles sont exagérées.

Cependant, comme je ne sais pas revêtir une apparence de joie et prendre un style léger lorsque mon imagination est vêtue de noir, je prends le parti de me taire.

Puisque vous voulez de mon grimoire, préparez-vous donc à soutenir mes lamentations. Je commencerai par les affaires de votre pauvre ville, qui vous occupent autant que nous. Pensez-vous qu’avec la trempe que vous nous connaissez, tous les agréments de la capitale puissent compenser le déplaisir d’être depuis trois mois à la poursuite de décisions dont aucune n’est encore obtenue ? Durant les deux premiers, j’ai pris patience ; mais, depuis le troisième, mon sang pétille à la seule idée d’une mission importante dont mon mari est digne, qu’il fait tout son possible pour remplir, et qu’il n’a pu justifier encore par le moindre succès. Cela me pèse et m’obsède ; je ne jouis plus de rien, et je me soulève contre les obstacles qui m’irritent vainement.

  1. Ms. 6241, fol. 55-58. — Voir Révolution française du 14 août 1895.