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À M. H. BANCAL, À LONDRES[1].
5 mai 1791, — de Paris.

Vos[2] deux lettres, mon cher Bancal, des 26 et 29 du passé, me sont parvenues. Je remis aussitôt à C. Fauchet la lettre pour lui. Il part lundi[3] pour son évêché. Il a dû communiquer votre lettre au directoire du Cercle social. Bosc a dû remettre hier à Garran la lettre qui était pour lui. Il paraît que je me suis mal expliqué dans ce que je vous ai dit du jugement que nous portions de vos efforts et de votre projet. Il n’est pas douteux que la réunion à laquelle vous travaillez ne puisse être utile, mais nous avons douté si, dans ce moment, c’était le plus pressé ; s’il n’était pas plus pressant de s’adresser aux peuples eux-mêmes en faisant d’abord assembler le nôtre et mettant entre ses mains tous les principes, tous les

    d’honnêtes gens capables de comprendre les bons principes, de s’entendre pour les soutenir et pour crier du moins contre les criailleurs, lorsque ceux-ci veulent arrêter la discussion et repousser la lumière ? Il faut les chercher, ces honnêtes gens, les électriser et les conduire ; il faut tolérer leur travers particuliers, leur marotte et leur médiocrité.


    Pétion s’est échauffé et n’en a que mieux parlé ; le vigoureux Robespierre et le sage Buzot ont déployé tous leurs moyens ; mais leurs cris étaient étouffés, même par les enfants de la Montagne, aussi vils aujourd’hui que des modérés. Ils criaient à l’ordre quand on parlait de citoyens passifs. Comme Tibère, ils faisaient un crime d’appeler la tyrannie par son nom. Que vous dirai-je de ces hommes médiocres, qui ne savent répondre que par des clameurs, d’imbéciles ricanements et de grossiers propos ; qui, toujours à l’affût d’une négligence, d’une répétition et d’un mot impropre, les saisissent pour entraîner a foule légère, inconsidérée des sots et des jaloux, toujours prêts à se venger, sur la raison même, de leur propre nullité ?

    J’ai le cœur navré ; j’ai fait le vœu ce matin de ne plus retourner dans cette Assemblée, où l’on se rit de la justice et de l’humanité, où cinq à six hommes courageux sont vilipendés par des furies qui veulent nous déchirer.

    Lorsque Dubois, d’André, Rabaut ont répété insidieusement qu’il n’y aurait que des mendiants qui ne seraient pas citoyens actifs, comment quelqu’un n’a-t-il pas observé que dans des villes de grande fabrique il y a un nombre considérable d’ouvriers qui, par l’effet des crises auxquelles sont exposés tous les objets de commerce et de manufacture de leur industrie, se trouvent momentanément hors d’état de supporter aucune imposition, et même réduits aux secours de passagers de l’assistance publique ? C’est ainsi qu’à Lyon, dans l’hiver de 1789, plus de vingt-cinq mille âmes furent livrées à la misère. Ces ouvriers sont cependant d’utiles et braves citoyens, d’honnêtes pères de famille, très attachés à la Constitution, très ardents à son maintien, et ils n’auraient pas le droit d’être armés pour elle ! et l’autorité arbitraire des municipalités pourra les rejeter ! Car on a aussi à Lyon l’exemple d’une précédente municipalité qui, sous le prétexte que tels ou tels n’étaient pas pou 89, sur le rôle des contributions, n’ont pas voulu les y admettre lorsqu’ils ont sollicité d’y être, afin de partager les droits de citoyens actifs.

  1. Lettres à Bancal, p. 216 ; — ms. 9534, fol. 114-115. Même adresse qu’à la lettre 415.
  2. Ce début et Lanthenas.
  3. 9 mai.