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tion générale ne vienne nous sauver de la mort de l’esclavage ; mais il n’y a point assez de force et d’instruction publique pour que nous puissions l’espérer. Ne venez donc plus nous prêcher la paix et le courage de la seule patience ; la Cour nous joue, l’Assemblée n’est plus que l’instrument de la corruption et de la tyrannie ; une guerre civile n’est plus un malheur, elle nous régénère ou nous anéantit, et, comme la liberté est perdue sans elle, nous n’avons plus à la craindre ou à l’éviter.

J’ai vu aujourd’hui cette Assemblée, qu’on ne saurait appeler nationale ; c’est l’Enfer même avec toutes ses horreurs ; la raison, la vérité, la justice y sont étouffées, honnies, conspuées. Quand on a suivi la marche qu’elle a tenue ce matin, quand on a entendu les propos que les Noirs osaient y tenir, quand on a vu le jeu des vils intérêts et des passions atroces qui l’ont guidée, il ne reste plus qu’à s’envelopper la tête ou à percer le sein de ses ennemis. Il me semble que, pour toute personne qui a des idées justes de la liberté et le sentiment vif de ce qu’elle inspire, il me semble démontré que l’Assemblée ne saurait plus rien faire qui ne soit funeste à cette liberté ; elle fortifiera le pouvoir exécutif, elle décrétera la rééligibilité. Elle fera des lois pour limiter la liberté de la presse ; elle évitera une Convention où elle étouffera tellement l’esprit public avant qu’elle puisse avoir lieu, que la Convention fera pis qu’elle encore, ce qui est beaucoup dire.

Comment les Noirs mêmes ne conçoivent-ils pas que, si notre Constitution ne se perfectionne, l’empire se démembrera nécessairement ? Mais non, ils espèrent que nous tomberons sous le joug du despotisme, et j’ai peur qu’ils

    dans la Nouvelle Minerve (t. I, p. 312). Sainte-Beuve (Introd. aux Lettres à Bancal), la même année, en cité quelques lignes ; – reproduite par Dauban, t. II, p. 587. La lettre se trouve d’ailleurs tout au long dans le Patriote français du 30 avril 1791 (n° dcxxx, avec un préambule de Brissot que voici :


    « Compte rendu de la séance de l’Assemblée du jeudi 28 avril où le comité proposait « de borner aux citoyens actifs le droit « d’être gardes nationales » :

    « Nous ne rendrons pas compte du succès honteux qu’il [d’André] a eu en faisant passer l’avis du comité. La lettre qu’une Romaine nous écrit, et dont nous joignons ici un fragment, nous en dispense ; elle était présente…, etc.

    « Fragment d’une lettre sur la séance de jeudi matin… »

    Suit la lettre. Le texte de M. de Montrol, qui avait l’autographe entre les mains, diffère en certains endroits du texte de Brissot. Celui-ci, comme tout rédacteur en chef aura usé çà et là du droit d’adoucir, d’atténuer, etc. — Nous donnons en note le texte de Brissot.

    Quoiqu’il en soit, on voit que la lettre est bien de Madame Roland (cf. sa lettre à Bancal du 27 avril) et qu’elle est du 28.