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ANNÉE 1780

l’avantage à quelques personnes si elles n’étaient persuadées d’ailleurs que je vaux autant qu’elles. L’égalité me paraît l’unique source de l’agrément dans la société ; je ne suis pas faite pour m’élever au-dessus de personne, ni pour être dominée d’aucune. Qu’elles me croient ce qu’elles voudront, elles me verront douce, honnête ; c’est tout ce que je veux être envers elles. N’imagine pas, au reste, que je prenne le change sur les motifs qui te font parler : nous connaissons trop bien nos cœurs réciproquement pour nous faire illusion sur nos réflexions réciproques et jamais supposer à l’une de nous deux autre chose que franchise et véritable amitié. L’italien ne souffre pas autant que tu penses de nos occupations ; nous le parlons quelquefois ; c’est une ressource d’agrément que nous cultivons par prévoyance, pour n’en négliger aucune. Ma musique n’est pas endormie toujours ; tu aurais pu t’en convaincre, si tu étais venue l’autre jour me faire une visite (que j’aurais reçue avec plus d’intérêt que celle de M. de la Lande[1], tout astronome qu’il soit), dans un instant où ma moitié, demi-couchée sur un lit, m’écoutait jouer et chanter à son chevet.

Je désire fort te voir et t’embrasser, mais j’ai aussi beaucoup d’impatience de voir réunie toute une famille aimable dont je reçois mille choses obligeantes, et le grand voyage me tient fort au cœur.

Adieu, ma chère et bonne amie : aime-moi toujours ; sois plus confiante et ne compte pas tant avec moi ; tu es avare de tes nouvelles ; tu n’as pas les mêmes raisons que moi pour écrire aussi peu.

Cette lettre, commencée depuis deux jours, était demeurée sans que je pusse la fermer ; j’avais taillé mon papier sur mon temps, j’ai passé les bornes ; tu auras mon épître plus tard, mais elle sera aussi un peu plus longue. Croirais-tu bien qu’il n’a tenu qu’à ta sœur que nous fissions ensemble une partie de spectacle, que nous lui avions laissé l’examen du jour à choisir, selon la pièce, et le soin de nous prévenir ; puis définitivement que chacun est resté chez soi ? Je ne vois pas Mlle  d’Hangard, je ne puis pas faire de visites : les jours fuient comme l’éclair. J’ai vu M. de Bray[2] avec plaisir dans un voyage

  1. L’astronome Lalande, né à Bourg-en-Bresse, était presque compatriote de Roland, né en Beaujolais, et qui avait d’ailleurs des relations à Bourg. En outre, ils collaboraient alors tous deux à la collection des Arts, publiée sous le patronage de l’Académie des Sciences. On y trouve neuf monographies de Lalande : l’Art du cordonnier, l’Art du tanneur, etc., et trois de Roland, (voir Appendice G). — De là, des rapports assez peu intimes, dont on trouvera trace dans toute la Correspondance.
  2. Alexandre-Nicolas de Bray de Flesselles (1729-1785), avocat du Roi au Bu-