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augmentez vos connaissances, et vous n’oubliez pas vos amis ; je vous passe de devenir savant à cette condition. Vous nous mandez des choses infiniment intéressantes sur le gouvernement anglais ; j’imagine que Brissot en fera quelque usage[1], sans quoi je chercherais à le faire publier dans quelques feuilles. Il nous est utile d’exciter les bons esprits à faire des comparaisons de la constitution d’Angleterre avec celle que nous devons avoir, à reconnaître les inconvénients que nous devons éviter, et les avantages dont nous pouvons nous prévaloir. Les partisans de l’ancien régime décriaient, sous son règne, le gouvernement anglais ; ils le préconisent aujourd’hui, et ce tardif éloge en est la plus franche satire pour les amis de la liberté. Nous aspirons avec raison à être mieux que nos voisins, que nous eussions été, ci-devant, trop heureux d’imiter. Je conçois de quel œil un citoyen français peut les considérer maintenant : nous sommes à ce moment de ferveur, d’enthousiasme et d’exaltation qui produit les grands mouvements, fait éclore les plus belles vérités, inspire les plus nobles sentiments et excite ces actions généreuses faites pour servir d’exemple à la postérité. Les Anglais, déjà loin de cette crise heureuse, sont tombés dans l’apathie d’une sécurité trompeuse, et les intérêts du commerce, les préjugés du luxe ont hâté les progrès de cette incurie où tombe un peuple tranquille qu’endorment à plaisir les intrigues du ministère et la perfidie des ambitieux. Assurément, tant que les Anglais ne réclameront pas contre les vices de leur représentation et la tyrannie de l’acte du Test, ils s’affaisseront toujours davantage sous les chaînes que multiplient la prérogative royale et les prétentions des grands.

Vous devriez bien nous envoyer un extrait abrégé, mais une vraie quintessence, des réfutations de l’ouvrage de Burke, ainsi que la notice des divers auteurs qui l’ont combattu[2]. Ce serait très précieux dans ce moment où nous sommes inondés de critiques de notre Révolution. Calonne[3], avec ses raisonne-

  1. Bancal venait de devancer ce conseil. — Voir Patriote français du 26 décembre 1790 : « Extrait de la lettre d’un voyageur français en Angleterre ».
  2. Burke venait de lancer se Réflexions sur la Révolution de France, un des livres qui firent le plus de mal à notre Révolution, surtout en tournant contre elle l’opinion anglaise, qui lui avait été plutôt favorable jusque-là. — L’article de Bancal, du 26 décembre, était précisément une protestation contre le livre de Burke.
  3. Calonne avait publié : De l’état de la France, présent et avenir, in-8o, Londres, octobre 1790, 1 volume in-8o. — Observations sur les finances, Londres, in-4o, 1790.