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s’élever aux méditations sublimes. Le Parlement et les spectacles, la politique et les mœurs, voilà les objets sévères que vous pourrez observer et suivre, sans les distractions aimables que l’observation d’une nature nouvelle et touchante vous aurait fournies dans une saison plus heureuse. Emportez donc avec vous un peu del brio francese ; ce n’est pas une exhortation qu’on eût eu à faire autrefois aux hommes de notre nation, toujours bien prémunis contre les influences du spleen ; mais-avant même notre Révolution vous étiez trop différent d’eux pour n’être pas digne des Anglais ; il suffit, pour la gloire, d’être devenu plus libre qu’eux, et il ne faut pas, pour le bonheur, renchérir sur leur mélancolie. Au reste, j’imagine que vous aurez des lettres qui vous mettront à même de voir la société ; ce n’est pas un article à négliger, et il doit vous procurer des plaisirs. Lorsque je suis allée dans ce pays, nous n’avons eu que le temps de visiter le matériel et de considérer les surfaces. J’ai plutôt appliqué alors les idées que j’avais du gouvernement et des hommes, que je n’en ai beaucoup acquis. Avec plus de loisir, vous devez mieux faire que nous, et j’espère que votre voyage, par les communications que vous voudrez bien nous faire, complétera le nôtre. Faites-moi connaître les Anglaises, dont, je n’ai vu que l’extérieur aimable et décent, qui promet un cœur sensible auquel elles ont la réputation de joindre un jugement exquis et un esprit cultivé. Lanthenas parlait l’autre jour d’Anglaises qu’il a vues à Paris, que vous et M. Garran devez connaître et qui pourront peut-être vous procurer des relations agréables[1]. Si vous vous arrêtez à Amiens, que nous avons habité, vous pourriez y voir de nos amis qui le sont aussi devenus de Bosc[2]. On m’avertit qu’il est 11 heures, qu’il faut partir pour mettre cette lettre à la poste, et je la termine par les embrassements de la bonne amitié qui vous est vouée à jamais parmi nous.


Copie d’une lettre écrité de Paris le samedi 30 octobre 1790.

Hier matin, M. de Montesquiou fit au nom du comité d’aliénation et des finances un rapport sur l’emploi des nouveaux assignats à la liquidation de la dette courante. Suivant le projet des comités, 200 millions seront prélevés sur les 800 pour pourvoir aux besoins courants de l’État. Le surplus sera employé à l’acquittement de la dette exigible.

Observations. 400 millions de biens nationaux et du clergé sont mangés ; les 200 qu’on

  1. Probablement Miss Helena Williams, dont nous verrons bientôt que Bancal fut épris. Elle avait fait, avec sa mère et sa sœur, un premier séjour en France cette année-là, s’y était liée avec Brissot et ses amis, et était retournée depuis peu en Angleterre, pour revenir en France en 1792.
  2. M. et Mme  d’Eu et M. de Vin.