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surent le temps d’une autre manière qu’on ne peut le faire dans les villes et surtout à Paris ; je crois cependant qu’en cela, comme en tant d’autres chose nous ne différons pas beaucoup. Mon bon ami vous a copié, ci-joint, une lettre que nous avons reçue en même temps que votre dernière et dont les observations lui ont paru mériter quelque attention ; elle est d’un homme versé dans les affaires ; il voit peut-être en noir, mais bien des gens peuvent voir ainsi, et dès lors leur sentiment doit être compté pour quelque chose dans l’ordre public. Nous livrons ces réflexions à votre patriotisme pour en user comme il vous paraîtra sage et en aiguiser l’activité, la vigilance de nos meilleurs députés. On n’aperçoit pas parmi eux de tête financière, dans la grande et bonne acception du mot ; ces comptes tant désirés ne se publient toujours point, et personne n’insiste sur cet article avec la vigueur et la suite nécessaires. Enfin l’économie, ce puissant, cet unique moyen de soutenir l’état ébranlé, n’est pas l’objet des opérations et de la prévoyance de notre Assemblée. Échauffez les esprits sur ce point, et faites envisager que, dans les espérances qui se sont répandues parmi le peuple, l’augmentation des impôts, sans l’assurance d’un régime sévère et de l’extinction de la dette, serait capable de produire des effets funestes à la Révolution.

Vous nous avez mandé des choses consolantes sur la force du parti patriotique, l’état de splendeur des Jacobins et la désertion du Club de 89 ; vous ne sauriez imaginer combien ces bonnes nouvelles nous restaurent et nous font de bien.

Lanthenas est encore avec nous ; il ne vous écrit point aujourd’hui, il est de mauvaise humeur contre Paris et les journalistes. Tournon[1], qui se plaint

  1. Sur Tournon, rédacteur (avant Loustalot) des quinze premiers numéros des Révolutions de Paris que l’éditeur Prudhomme avait commencé à publier le 17 juillet 1789, et sur les diverses feuilles que Tournon, après sa séparation d’avec Prudhomme, fonda successivement (Révolutions de Paris, Révolutions de Paris et de l’Europe, Révolutions de l’Europe, etc… ), voir Hatin Bibliographie, p. 147-150 ; Tuetey, Tourneux, passim.

    Il semble que Tournon, à la date où écrit Madame Roland, eût été éliminé de son dernier journal par les Robert et cherchât à créer une nouvelle feuille.

    Antoine Tournon était lyonnais. Il faisait partie du Club des Jacobins et demeurait rue Guénégaud, n° 32. Il travailla ensuite en 1791, au Mercure universel, où il faisait « l’article de la Convention, sans aucune réflexion ». Emprisonné sous la Terreur, il fut impliqué dans la conspiration des prisons ou du Luxembourg, et fut guillotiné dans la troisième fournée, le 22 messidor an ii, 10 juillet 1794 (Wallon, Trib. rév., p. 441, 448).