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ANNÉE 1780

Amiens. Ce fut pour moi le berceau du bonheur. Va, celui dont je jouis est d’autant plus pénétrant que je sens te le devoir en partie[1]. Je mène une petite vie très douce et bien conforme à mes goûts ; l’avenir ne me promet qu’une satisfaction plus grande. Je n’aperçois toujours pas le moment de te rejoindre, et je ne puis le déterminer ; rien n’est décidé quant au voyage qui t’effraye[2] et je ne sais que des peut-être à l’égard de toutes ces choses, parce qu’elles dépendent des circonstances. Les obstacles dont tu souhaites l’existence auraient bien leur agrément ; c’est encore tout ce que j’en sais, et la prévision n’est pas plus facile sur cet objet que sur bien d’autres. Je suis extrêmement flattée des honnêtetés des tiens, et particulièrement de celles de notre maman ; elle n’a pas besoin d’être suppléée dans le sens que tu l’exprimes, je n’avais aucun sujet d’attendre une lettre de sa part ; je me repose dans l’idée que tu me tiens présente à son souvenir, et que tu me conserves son amitié ; j’ai pensé aussi que tu serais mon interprète auprès d’elle pour tout ce que j’aurais à lui dire du plaisir de pouvoir par moi-même cultiver sa bienveillance ; voilà ta véritable fonction, et celle entre plusieurs autres que je te recommanderais, s’il était nécessaire de prendre cette précaution avec une amie.

Adieu, ma bonne et tendre amie, je reviendrai causer avec toi dans quelque autre instant, et je t’embrasse de tout mon cœur.


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[À SOPHIE CANNET, À AMIENS[3].]
22 avril 1780. — [de Paris.]

C’est pour cette fois que je te prends en doute sur le compte de ton amie ; nombrant par tes doigts les jours de son silence, raisonnant à perte de vue des causes de celui-ci, et ne sachant plus qu’en penser. Ma preuve, c’est qu’avec la persuasion qu’aucune espèce de négligence n’y contribuerait de ma part, tu ne te serais pas empêchée aussi longtemps de me témoigner ton impatience. La connaissance que j’ai de ton cœur et de ta manière d’agir en amitié me fait tirer cette conclusion, que je n’ai pas vue sans peine justifiée par les apparences.

  1. C’est par Sophie Cannet que Roland, en janvier 1775, avait connu Marie Phlipon.
  2. En Beaujolais, dans la famille de Roland.
  3. Dauban, II, 429.