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« Roland dit : "Pourquoi de la colère contre moi ?" Et il répond : "Compagnon, c’est votre faute ; car vaillance sensée et folie sont deux choses, et mesure vaut mieux qu’outrecuidance. Si nos Français sont morts, c’est par votre légèreté. Jamais plus nous ne ferons le service de Charles. Si vous m’aviez cru, mon seigneur serait revenu ; cette bataille, nous l’aurions gagnée ; le roi Marsile aurait été tué ou pris. Votre prouesse, Roland, c’est à la malheure que nous l’avons vue. Charles, le Grand — jamais il n’y aura un tel homme jusqu’au dernier jugement — ne recevra plus notre aide. Vous allez mourir et France en sera honnie. Aujourd’hui prend fin notre loyal compagnonnage. Avant ce soir nous nous séparerons, et ce sera dur." »

Olivier a soulagé sa rancune. Roland, que fera-t-il ? À ces reproches si violents, et si tendres, et qui lui viennent de son plus cher compagnon, que répondra-t-il ? Va-t-il réfuter Olivier ? ou, s’il ressent du remords, va-t-il confesser enfin ce remords ? Il se tait, et je ne sais rien de plus beau que ce silence. Il se tait, mais l’archevêque Turpin a entendu la querelle des deux amis ; et, poussant son cheval vers eux : « Hélas ! » leur dit-il, « elle n’a plus d’objet. Pourtant, sire Roland, oui, sonnez l’olifant, afin que du moins le roi revienne et nous venge et que nos corps ne soient pas mangés des loups, des sangliers et des chiens. » Roland répond : « Seigneur, vous avez bien dit. »

« Roland[1] a mis l’olifant à ses lèvres. Il l’embouche bien, sonne à pleine force. Hauts sont les monts et longue la voix du cor : à trente lieues on l’entend qui se prolonge. Charles l’entend et l’entendent tous ses corps de troupe. Le roi dit : "Nos hommes livrent bataille." Et Ganelon lui répond à l’encontre : "Qu’un autre l’eût dit, certes on y verrait un grand mensonge !"

« Le comte Roland, à grand effort, à grand ahan, très douloureusement sonne son olifant. Par sa bouche le sang jaillit clair. Sa tempe se rompt. La voix de son

  1. Vers 1753 et suivants.