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croyons-nous, sinon l’achèvement, aussi rapide que possible, de l’affreux holocauste, voici que Roland s’approche d’Olivier, cherchant à dire une chose qu’il ne sait comment dire : « Nous avons bien sujet de plaindre douce France, la belle…. Pourquoi le roi Charles n’est-il pas ici ? ... » Olivier le laisse parler, feint de ne pas comprendre… « Comment pourrions-nous faire ? » reprend Roland. À cet instant où il laisse enfin voir qu’il souffre, et comme il trébuche, lui aussi, sous le faix de sa croix, pitié nous prend de lui… Si je rappelais Charlemagne ? » demande-t-il humblement, follement. Mais il lui reste à toucher le fond de sa détresse, et c’est quand Olivier, son compagnon, son frère, reprend à son compte, ironique, méprisant, les arguments dont Roland lui-même se prévalait tout à l’heure et les retourne contre le malheureux :

« "Ah !" dit Roland,[1] "roi, ami, que n’êtes-vous ici ? Olivier, frère, comment pourrons-nous faire ? Comment lui mander la nouvelle ?" — Olivier dit : "Comment ? Je ne sais pas. Un récit honteux pourrait courir sur nous, j’aime mieux mourir."

« Roland dit : "Je sonnerai l’olifant. Charles l’entendra, qui passe les Ports. Je vous le jure, les Francs reviendront." Olivier dit : "Ce serait grand déshonneur et pour tous vos parents un opprobre, et cette honte serait sur eux toute leur vie. Quand je vous le demandais, vous n’en fîtes rien. Faites-le maintenant : ce ne sera plus par mon conseil. Sonner votre cor, ce ne serait pas d’un vaillant. Comme vos deux bras sont sanglants !" Le comte répond : "J’ai frappé de beaux coups."

« Roland dit : "Notre bataille est rude. Je sonnerai mon cor, le roi Charles l’entendra." Olivier dit : "Ce ne serait pas d’un preux. Quand je vous disais de le faire, compagnon, vous n’avez pas daigné. Si le roi avait été avec nous, nous n’eussions rien souffert. Ceux qui gisent là ne méritent aucun blâme. Par cette mienne barbe, si je puis revoir ma gente sœur Aude, vous ne coucherez jamais entre ses bras."

  1. Vers 1697-1736.