Page:Roland à Roncevaux.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

semblent absurdes à Olivier, son plus cher compagnon, son double. Écoutons-les tous deux :

Mille trompettes sarrasines sonnent.[1] Le bruit est grand, les Français l’entendirent. Olivier dit : « Sire compagnon, il se peut que nous ayons affaire aux Sarrasins. » Roland répond : « Ah ! que Dieu nous l’octroie ! Nous devons tenir ici, pour notre roi. Pour son seigneur, on doit souffrir toute détresse, et endurer les grands chauds et les grands froids, et perdre du cuir et du poil. Que chacun veille à y employer de grands coups, afin qu’on ne chante pas de nous une mauvaise chanson ! Le tort est aux païens, aux chrétiens le droit. Jamais mauvais exemple ne viendra de moi… »

Olivier est monté sur une hauteur.[2] Il voit à plein la terre d’Espagne et les Sarrasins, qui sont assemblés en si grande masse. Les heaumes aux gemmes serties d’or brillent, et les écus, et les hauberts safrés, et les épieux et les gonfanons fixés aux fers. Il ne peut dénombrer même les corps de bataille : ils sont tant qu’il n’en sait pas le compte. Au-dedans de lui-même il est grandement troublé. Le plus vite qu’il peut, il dévale de la hauteur, vient aux Français, leur raconte tout.

Olivier dit : « J’ai vu les païens. Jamais homme sur terre n’en vit plus. Devant nous ils sont bien cent mille, l’écu au bras, le heaume lacé, le blanc haubert revêtu ; et, la hampe droite, luisent leurs épieux bruns. Vous aurez une bataille, telle qu’il n’en fut jamais. Seigneurs Français, que Dieu vous donne sa force ! Tenez fermement, pour que nous ne soyons pas vaincus ! ». Les Français disent : « Honni soit qui s’enfuit ! Au risque de mourir, pas un ne vous manquera. »

Olivier dit : « Les païens sont très forts ; et nos Français, ce me semble, sont bien peu. Roland, mon compagnon, ah ! sonnez votre cor. Charles l’entendra, et l’armée reviendra. » Roland répond : « Ce serait faire comme un fou. En Douce France j’y perdrais mon renom. Sur l’heure je frapperai de Durendal de grands coups. Sa lame saignera jusqu’à l’or de la garde. Les félons païens sont venus aux Ports pour leur malheur. Je vous le jure, tous sont marqués pour la mort. »

« Roland, mon compagnon, sonnez l’olifant ! Charles l’entendra, ramènera l’armée ; il nous secourra avec

  1. Vers 1004-1016.
  2. Vers 1028-1097.