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Célestine. Tu ne vois pas, Parmeno, que c’est le comble de la simplicité et de l’enfantillage que de s’affliger pour une chose à laquelle les larmes ne peuvent apporter aucun remède.

Parmeno. Et c’est cela qui me désole, car si en pleurant je pouvais soulager mon maître, cette espérance me donnerait un plaisir tel que la joie m’empêcherait de pleurer ; or, je perds l’espérance, je perds la joie, et je pleure.

Célestine. Les larmes sont sans pouvoir pour ce qu’elles veulent empêcher : tu ne parviendras pas à le guérir. Cela n’est-il pas arrivé à d’autres, Parmeno ?

Parmeno. Si fait, mais je ne voudrais pas voir mon maître souffrant.

Célestine. Il ne l’est pas ; mais lors même qu’il le serait, il pourrait guérir.

Parmeno. Je fais peu de cas de ce que tu dis, car dans le bien, mieux vaut le fait que l’intention ; dans le mal, mieux vaut l’intention que le fait. Ainsi il vaut mieux se bien porter que le pouvoir, il vaut mieux pouvoir être malade qu’être malade en effet. Or donc, il vaut mieux avoir la possibilité dans le mal que le mal lui-même.

Célestine. Oh, maudit ! qu’on ne te comprend guère ! Tu ne connais pas son mal ? Qu’as-tu dit jusqu’à présent ? De quoi te plains-tu ? Te moques-tu de moi ou mens-tu à plaisir ? Crois-en ce que tu voudras, ton maître est malade en effet, la possibilité de le guérir est entre les mains de cette pauvre vieille.

Parmeno. Ou plutôt de cette pauvre vieille gueuse.

Célestine. Puisses-tu vivre avec autant de gueuserie qu’elle28, rusé coquin ! D’où te vient pareille audace ?

Parmeno. De ce que je te connais.

Célestine. Qui es-tu donc ?

Parmeno. Qui je suis ? Parmeno, le fils d’Albert, ton