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un morceau de leur robe, à d’autres des mèches de leurs cheveux ; à ceux-ci elle peignait des caractères avec du safran dans la paume de la main, à ceux-là des signes avec du vermillon ; à quelques-uns elle donnait des cœurs de cire pleins d’aiguilles brisées et d’autres choses faites de glaise et de plomb et fort hideuses à voir. Elle traçait des figures, marmottait des paroles près de terre… Qui pourrait vous dire ce que faisait cette vieille sorcière ? tout était mensonge et moquerie.

Calixte. Tout cela est bien, Parmeno ; nous y reviendrons en temps opportun. Je te sais bon gré de ces avis et t’en remercie. Ne perdons plus de temps, car la nécessité n’aime pas les retards. Cette vieille vient ici à ma demande ; elle attend plus qu’elle ne devrait le faire ; il ne faut pas qu’elle s’impatiente. Je crains, et la crainte éveille la mémoire et force à chercher des ressources. Allons, hâtons-nous, avisons. Mais, je t’en conjure, Parmeno, que la jalousie qui règne entre toi et Sempronio, qui me sert à cette occasion, ne mette pas obstacle au remède de ma vie ; si pour lui j’ai trouvé un pourpoint, la casaque ne te manquera point. Ne pense pas que je fasse moins de cas de tes conseils et de tes avis, que de ses démarches et de ses peines. Je sais que les droits de l’esprit passent avant les droits du corps. Les animaux travaillent plus de corps que les hommes ; c’est pour cela qu’on les soigne, qu’on les panse ; mais on ne les prend pas en amitié. C’est là la différence que je veux établir entre Sempronio et toi, je te le dis sous le sceau du secret. À part mes droits de maître, c’est toi que je choisirai pour ami.

Parmeno. J’ai le droit de me plaindre, seigneur, si j’en juge par vos promesses et vos protestations, de ce que vous semblez mettre en doute mon zèle et ma fidélité. Quand m’avez-vous vu, seigneur, agir avec envie ou négliger vos intérêts pour quelque profit personnel ?

Calixte. Ne te fâche pas, car de tous mes serviteurs