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ment, confiantes en la restitution qu’elle leur promettait. Elle alla plus loin : à l’aide de ses élèves, elle communiquait avec les filles les mieux surveillées, et venait toujours à bout de ses projets. J’ai vu entrer bon nombre de ces dernières en temps de prières, à l’aide des stations, des processions de nuit, des messes de Noël, des messes de l’aube et de mille prétextes de dévotion ; derrière elles venaient des hommes déchaussés, à l’air contrit, à demi vêtus, semblables à des pénitents, et qui se rendaient chez la vieille pour pleurer leurs péchés. Pensez quel trafic c’était ! Elle faisait profession de soigner les petits enfants, elle prenait du lin dans une maison et le donnait à filer dans l’autre, tout cela pour avoir moyen d’entrer partout. Partout on la connaissait : « Mère par ci, mère par là, voilà la vieille, voici la matrone. » Malgré tant d’affaires, elle ne négligeait ni messe ni vêpres ; elle ne manquait aucun couvent de moines ou de religieuses : c’est là qu’elle disait ses dévotions et ses intrigues. Dans sa maison, elle faisait des parfums, falsifiait des essences, du benjoin, de l’ambre, du musc, des poudres, des odeurs. Elle avait une chambre pleine d’alambics, de fioles, de petits barils de terre, de verre, de cuivre et d’étain, faits de mille façons ; elle fabriquait du sublimé, des fards, des fausses broderies, des petites bougies, de la laine, des pommades, de l’eau lustrale, des eaux pour le teint, du blanc et autres drogues pour le visage, avec de la lie de vin, avec de l’asphodèle, avec de l’écorce de baguenaudier, de la serpentaire, du fiel, du verjus. Elle distillait des sirops et des choses sucrées. Elle adoucissait la peau avec du jus de limon, du turbith, de la moelle de chevreuil et de héron et autres matières. Elle fabriquait des eaux de senteurs, de roses, d’oranges, de citrons, de jasmins, de chèvrefeuille, d’œillets sauvages musqués, pulvérisés avec du vin. Elle faisait une lessive pour teindre les cheveux en blond avec des sarments, du chêne vert, du seigle, des marrubes, du salpêtre, de l’alun et diverses autres choses. Il serait fastidieux de dire les graisses, les beurres, les