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plus ardent quand sa chaleur est répercutée. La vue se fatigue quand elle ne rencontre rien, elle reprend sa force quand elle trouve un aliment. Je vais me tenir tranquille un instant, et s’il veut se tuer, qu’il meure. Peut-être, qui sait, en résultera-t-il pour moi quelque bien qui me permettra de changer ma triste condition. Il est bien mal cependant d’attendre son salut de la mort d’autrui. — Je crains que le diable ne veuille me tenter. Si Calixte meurt, on me voudra tuer, et il faudra que la corde suive le seau8. D’un autre côté, les sages disent que c’est un grand soulagement pour les affligés que d’avoir à qui conter leurs peines ; les maladies concentrées sont les plus dangereuses. Ainsi donc, au lieu d’hésiter et de douter, je ferai bien mieux d’entrer, de supporter sa mauvaise humeur et de chercher à le consoler ; car, bien qu’il soit possible de guérir sans médecin et sans appareil, encore vaut-il mieux se tirer d’affaire avec l’art et de bons soins.

Calixte. Sempronio !

Sempronio. Seigneur ?

Calixte. Donne-moi mon luth.

Sempronio. Le voici.

Calixte. Hélas ! quelle douleur affreuse peut, ici-bas, se comparer à la mienne ?

Sempronio. Ce luth n’est pas d’accord.

Calixte. Et comment l’accorderai-je, désaccordé que je suis ? Peut-il comprendre l’harmonie, celui qui est si peu d’accord avec lui-même, celui dont la volonté n’obéit plus à la raison, celui qui ressent dans son cœur des aiguillons, la paix, la guerre, la trêve, l’amour, la haine, l’injure, la crainte, l’inquiétude, tout à la fois ? Prends ce luth et chante-moi la chanson la plus triste que ta saches.

Sempronio.

    Du sommet du rocher Tarpéien,
    Néron voit à ses pieds Rome en flammes,
    Enfants, vieillards poussent des cris affreux,
    Mais Néron ne s’émeut de rien 9.