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celle que j’éprouve125 ; Ptolémée, roi d’Égypte, tua son père, sa mère, ses frères, sa femme, pour jouir d’une jeune fille ; Oreste tua Clytemnestre, sa mère ; Néron, le cruel empereur, fit tuer sa mère Agrippine pour son plaisir. Ceux-là sont dignes de blâme, ceux-là sont de véritables parricides, et non moi ; si ma mort doit causer de la peine, j’aurai du moins expié la faute que j’ai commise. Il y eut des hommes cruels qui tuèrent leurs frères et leurs fils ; auprès de pareils crimes le mien n’est plus rien. Philippe, roi de Macédoine ; Hérode, roi de Judée126 ; Constantin, empereur de Rome127 ; Laodice, reine de Cappadoce128 ; Médée la nécromancienne, tous ceux-là tuèrent leurs fils bien-aimés sans aucune raison et sans courir eux-mêmes aucun danger. Enfin je me rappelle l’horrible cruauté de Phraates, roi des Parthes, qui, afin qu’il ne lui restât pas de successeur, tua Orode, son vieux père, son fils unique et ses trente frères129. Quoi qu’il en soit, je ne devrais pas imiter le mal qu’ils ont fait ; mais cela n’est plus en mon pouvoir et je n’ai plus de force pour résister. Toi, Seigneur, qui entends mes paroles, vois ma faiblesse, vois combien ma liberté est captivée ; l’amour que j’ai voué à ce cavalier qui n’est plus s’est tellement emparé de mes sens, qu’il a chassé l’attachement que je dois à mes parents.

Plebère. Mélibée, ma fille, que fais-tu seule ? Que veux-tu me dire ? Veux-tu que je monte ?

Mélibée. Ne le tente pas, mon père, ne te fatigue pas pour venir où je suis ; tu empêcherais ce que je veux te dire maintenant.

Tu seras bientôt dans l’affliction par la mort de ta fille unique ; ma fin approche, l’heure est sonnée pour mon repos et pour ta douleur, pour ma consolation et pour ta peine ; voici l’instant où je trouverai compagnie et celui où tu resteras seul. Tu n’auras pas besoin, honoré père, d’instruments pour apaiser ma souffrance, mais de cloches pour ensevelir