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douleur ressens-tu ? Qu’est-ce que ce nouvel accident ? Pourquoi donc si peu de courage ? Regarde-moi, je suis ton père ; parle-moi, pour Dieu, dis-moi la cause de ta douleur, afin qu’on puisse y porter un prompt remède ; ne vois-tu pas que tu me fais mourir d’inquiétude ? Tu sais que je n’ai pas d’autre bien que toi ; ouvre tes beaux yeux, regarde-moi.

Mélibée. Ah ! que je souffre !

Plebère. Je souffre bien plus que toi de te trouver ainsi. Ta mère est toute tremblante de te savoir malade ; elle ne peut venir te voir, tant elle en a été troublée ! Prends courage, ranime ton cœur, sois maîtresse de toi et viens la trouver avec moi. Dis-moi, mon âme, quelle est la cause de ta souffrance ?

Mélibée. Le remède n’est plus.

Plebère. Ma fille, ma bien-aimée et l’amour de ton vieux père ! au nom de Dieu, ne te laisse pas désespérer par la douleur et par la maladie. La souffrance éprouve le cœur. Dépeins-moi ton mal, il y sera promptement remédié ; il ne te manquera ni médicaments, ni médecins, ni serviteurs pour chercher ton salut, qu’il consiste en herbes ou en pierres ou en paroles, ou qu’il soit caché dans le corps des animaux. Mais ne te tourmente pas davantage, ne m’inquiète pas, ne me fais pas perdre la raison et dis-moi, qu’éprouves-tu ?

Mélibée. Une blessure mortelle dans le cœur : elle ne me permet pas de parler, elle ne ressemble pas aux autres maux. Il faut m’arracher le cœur pour qu’il guérisse, car il est profondément frappé.

Plebère. Tu éprouves de bonne heure les sensations de la vieillesse, car la jeunesse ne connaît d’ordinaire que plaisir et joie ; elle est l’ennemie du chagrin.

Lève-toi, ma fille, allons respirer l’air frais du fleuve ; tu t’égayeras, ta peine se calmera près de ta mère. La distraction est le remède le plus favorable à ton mal.