Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


ACTE DIX-SEPTIÈME


Argument : Élicie prend le parti de se débarrasser de son chagrin et de quitter le deuil qu’elle porte en souvenir des morts ; elle reconnaît la justesse des conseils que lui a donnés Areusa à ce propos. Elle va chez Areusa, où vient Sosie, à qui Areusa arrache avec adresse tout le secret qui existe entre Calixte et Mélibée.


ÉLICIE, AREUSA, SOSIE.

Élicie. Je me trouve mal de ce deuil ; on visite peu ma maison, ma rue est peu fréquentée. Je n’entends plus ni les aubades ni les chansons de mes amants, ni les querelles, ni les bruits de nuit à cause de moi, et, ce qui me fait le plus de peine, je ne vois passer par ma porte ni blanc ni présent. La faute en est à moi seule. Si j’avais suivi le conseil que celle qui m’aime bien, ma véritable sœur, me donna l’autre jour quand j’allai lui annoncer cette triste affaire qui a causé ma ruine, je ne me verrais pas maintenant seule entre deux murailles, car il n’y a personne qui veuille me voir. À quoi bon avoir de la douleur pour quelqu’un qui n’en aurait peut-être pas si j’étais morte ? Elle m’a parlé franchement, elle. « Jamais, sœur, ne témoigne plus de peine pour le mal ou la mort d’un autre qu’il ne ferait pour toi. » Sempronio se serait réjoui si j’étais morte de son vivant ; pourquoi, folle que je suis, me fais-je du chagrin à cause de lui maintenant qu’il n’est plus. Qui sait s’il ne m’aurait pas tuée moi-même, tant il était furieux et emporté, comme il a fait avec cette vieille qui me tenait lieu de mère ? Je veux suivre en tout les conseils d’Areusa, qui connaît mieux le monde que moi ; je veux la voir souvent et profiter de ma vie ! Oh ! quelle agréable compagnie ! quelle conversation joyeuse et douce ! On a raison de dire qu’une seule journée du sage vaut mieux que la vie