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Élicie. Je connais, amie, un autre compagnon de Parmeno, un palefrenier nommé Sosie, qui accompagne Calixte chaque nuit ; je veux faire en sorte de lui arracher tout le secret, et ce sera un bon commencement pour ce que tu dis.

Areusa. Fais-moi plutôt le plaisir de m’envoyer ce Sosie, je lui parlerai, je lui ferai mille cajoleries jusqu’à ce qu’il ne lui reste dans le corps rien de bon à connaître, et ensuite je ferai rendre compte à son maître et à lui du plaisir qu’ils ont pris. Et toi, Élicie, mon âme, ne t’afflige pas, apporte dans ma chambre tes robes et tes meubles, et viens avec moi ; tu es trop seule là-bas, et la tristesse est la compagne de la solitude. Avec un nouvel amour tu oublieras les anciens. Un fils qui naît en remplace trois qu’on a perdus ; un nouvel amant ramène les doux souvenirs et les plaisirs du temps passé. D’un pain que j’aurai tu auras la moitié. J’ai plus de chagrin de te voir affligée que je ne regrette ceux qui ne sont plus. En vérité, l’homme éprouve plus de peine de la perte de ce qu’il possède, que ne lui fait de plaisir l’espoir, même certain, d’un bien équivalent.

Mais maintenant le mal est sans remède, les morts ne peuvent revenir, et, comme on dit, qu’ils meurent, puisqu’il le faut ; nous, vivons ! Je me charge des vivants : je te leur ferai boire un breuvage aussi amer que celui qu’ils t’ont donné. Ah ! cousine, je m’entends fort bien, quand je me fâche, à disposer semblables trames, bien que je sois jeune. Que Dieu me venge d’autre chose, aussi bien que Centurion me vengera de Calixte !

Élicie. Je crains que, bien que je fasse venir celui dont tu me parles, il n’en résulte pas l’effet que tu attends. L’exemple de ceux qui sont morts pour avoir découvert le secret imposera silence au vivant pour le garder. Je te remercie de l’offre que tu me fais de venir chez toi. Que Dieu te favorise et te soulage dans tes besoins ! tu me prouves que la parenté et la