Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coquin, cape et pourpoint, épée et bouclier, chemises deux par deux et mille choses faites de ma main ; je t’ai donné des armes et un cheval ; je t’ai placé près d’un seigneur que tu ne méritais pas de déchausser ; maintenant je te demande de faire une chose pour moi, et tu y trouves mille inconvénients !

Centurion. Ma sœur, fais-moi tuer dix hommes pour ton service, mais ne me fais pas faire une lieue de chemin à pied.

Areusa. Pourquoi as-tu joué ton cheval, escroc, coquin ? Sans moi tu serais déjà pendu. Trois fois je t’ai délivré de la justice, quatre fois je t’ai sauvé des pertes du jeu. Pourquoi l’ai-je fait ? Pourquoi suis-je folle ? Pourquoi suis-je fidèle à ce lâche ? Pourquoi crois-je à ses mensonges ? Pourquoi le laissé-je entrer chez moi ? Qu’a-t-il de bon ? Les cheveux crépus, la figure balafrée ; il a été fouetté deux fois ; il est manchot de la main de l’épée ; il soutient trente femmes au bordel. Sors d’ici bien vite, que je ne te voie plus ; ne me parle pas, ne dis pas que tu me connais, sinon, par les os du père qui m’a engendrée et de la mère qui m’a mise au monde, je te fais donner deux mille coups de bâton sur tes épaules de meunier. Tu sais que j’ai quelqu’un qui saura bien s’en acquitter.

Centurion. Ah ! la folle, l’extravagante ! Si je me fâche, il y aura des pleurs ; je vais partir et te laisser faire ; je ne sais qui vient, je ne veux pas qu’on nous entende.

(Il sort.)

Élicie. J’entre ; des menaces et de la colère ne sont pas des signes de tristesse.

Areusa. Ah ! malheureuse que je suis ! c’est toi, mon Élicie ? Jésus, Jésus ! je ne le puis croire, qu’est-ce que cela ? Qui t’a ainsi plongée dans la douleur ? Qu’est-ce que ce manteau de tristesse ? Vois donc, tu m’épouvantes, ma sœur. Dis-moi bien vite ce que