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biographes gardent le silence sur sa vie et ses écrits ; on le croit auteur de ce premier acte, mais on ne peut l’affirmer. C’est ce que dit Moratin dans son Catalogue historique : « Cela n’est pas suffisamment prouvé. »

Je pense au contraire que Fernando de Rojas, auteur des vingt derniers actes de la Célestine, le fut aussi du premier. Mais où serait le motif du secret qu’il a gardé ? Pourquoi, dès qu’il se reconnaît continuateur d’une œuvre, ne dirait-il pas aussi bien qu’il l’a entièrement conçue ? Pourquoi, dès qu’il avoue vingt actes, n’avouerait-il pas aussi bien l’œuvre elle-même ? La réponse à ces questions me semble facile.

Rojas a déclaré que ses devoirs, ses occupations étaient entièrement opposés à un travail comme la Célestine ; il avait trouvé dans ces motifs une raison suffisante du silence qu’il avait gardé pendant dix ans[1]. Il pouvait être excusable comme continuateur ; il n’avait pas à avouer l’idée première ; il recueillait une œuvre abandonnée, un écrit dont tous admiraient la profondeur, le talent, l’utilité même[2]. Ainsi il abritait derrière un titre de collaborateur, de continuateur, certains remords que l’Église eût pu faire naître chez l’écri-

  1. Ce motif, il l’attribue lui-même à son devancier supposé : « Et cependant, dans la crainte des détracteurs et des mauvaises langues, qui savent mieux blâmer qu’imiter, il voulut cacher son nom. » Cette phrase, qui se trouve dans la préface de Rojas, ne peut-elle être prise comme une allusion directe à la position qu’il s’est faite ?
  2. Moratin, et après lui don Léon Amarita, auteur de l’édition moderne de 1822, ont écrit que Rojas ne consacra à ce travail que quinze jours de vacances, qui, ajoute Moratin, ne pouvaient être mieux employés.
    Il importe de relever l’erreur à laquelle ces deux écrivains se sont laissé entraîner ; quelques jours de plus n’ôteront rien