Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marches ! Si elle meurt, on me tuera ; si elle résiste à cette vive émotion, je serai entendue, elle ne pourra s’empêcher de faire connaître son mal et le moyen que j’ai employé. Madame Mélibée, mon ange, qu’avez-vous éprouvé ? Qu’est devenue votre gracieuse parole ? Que sont devenues vos riantes couleurs ? Ouvrez vos beaux yeux. Lucrèce ! Lucrèce ! viens vite, tu verras ta maîtresse mourante entre mes mains, va vite chercher un vase plein d’eau.

Mélibée. Doucement, doucement, je vais reprendre force, ne scandalise pas la maison.

Célestine. Ô pitié pour moi ! Ne vous évanouissez pas, madame, parlez-moi comme de coutume.

Mélibée.. Je suis mieux, tais-toi, ne me fatigue pas.

Célestine. Que voulez-vous que je fasse, perle précieuse ? Qu’avez-vous éprouvé ? Je crois que mes points de suture se rompent.

Mélibée. C’est mon honneur qui s’est rompu, c’est ma modestie qui s’est brisée, ma pudeur qui s’est relâchée ; et comme ils m’étaient naturels, comme ils tenaient à toute mon existence, ils n’ont pu si rapidement abandonner mon visage, sans en emporter pour quelques instants la couleur et l’animation, sans emporter ma force, ma langue et presque toutes mes facultés. Et maintenant, ma bonne maîtresse, ma fidèle confidente, puisque tu connais si bien tout ce que j’éprouve, ce serait en vain que je chercherais à te le cacher. Il y a bien des jours que ce noble cavalier me parla d’amour ; ses paroles m’offensèrent tout autant que depuis il m’a été doux et agréable de t’entendre le nommer. Tes soins ont fermé ma blessure, me voici soumise à ta volonté. Tu t’es emparée de ma liberté, tu l’as emportée garrottée avec ma ceinture. La douleur de dents de Calixte était ma plus grande douleur, sa souffrance était ma souffrance la plus cruelle. Je loue et j’approuve ta grande résignation, ta courageuse audace, ta généreuse activité, tes courses empressées, tes bonnes paroles, ton extrême