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Élicie. C’est à celui qui m’a mise en colère que tu dois adresser tes reproches. Puis-je manger à côté de ce maudit, qui vient me dire en face que son haillon de Mélibée est plus joli que moi !

Sempronio. Tais-toi, ma vie, c’est toi qui as fait la comparaison ; toute comparaison est odieuse ; c’est à toi que revient la faute et non à moi.

Areusa. Sœur, viens manger et ne fais pas à ces fous, à ces entêtés l’honneur de les bouder, ou bien je me lève aussi de table.

Élicie. Ce n’est que pour te plaire que je vais contenter ce maudit et user de patience avec tous.

Sempronio. Hé, hé, hé.

Élicie. De quoi ris-tu ? Qu’un méchant cancer puisse dévorer cette bouche disgracieuse et méchante !

Célestine. Ne lui réponds pas, ami, nous n’en finirions jamais. Occupons-nous de ce qui nous regarde. Dites-moi, comment avez-vous laissé Calixte ? Comment l’avez-vous quitté ? Comment avez-vous pu tous deux vous échapper d’auprès de lui ?

Parmeno. Il est comme un homme frappé de malédiction, jetant feu et flamme, désespéré, perdu, à moitié fou ; il est allé à la messe à la Madeleine prier Dieu de te faire la grâce de pouvoir ronger les os de ces poulets et jurant de ne rentrer chez lui qu’il ne sache que tu en es venue à tes fins avec Mélibée. Ta robe, ta mante et mon pourpoint, voilà le positif ; que le reste aille et vienne, je ne sais quand il le donnera.

Célestine. Quand il voudra ; après Pâques les bons cadeaux89. Tout ce qui se gagne avec peu de peine se reçoit avec plaisir, surtout quand cela vient d’un point où cela fait si petite brèche, de chez un homme si riche qu’avec les balayures qui sortent de sa maison je pourrais sortir de misère, tant il y en a. Ce qui fait souffrir ces gens-là, ce n’est pas ce qu’ils donnent, mais la cause pour laquelle ils donnent. L’amour les étourdit de telle manière qu’ils ne sentent pas ce qu’ils