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plus il y a à choisir. Souris qui n’a qu’un trou n’est pas tranquille ; si on le lui bouche, elle ne sait plus où se cacher du chat76. Vois quel danger menace celui qui n’a qu’un œil. Une âme seule ne chante ni ne pleure ; tu rencontreras rarement dans la rue un moine seul ; il est rare qu’une perdrix vole sans compagne ; un seul mets dégoûte bien vite ; une hirondelle ne fait pas le printemps ; on n’ajoute pas foi à un témoin seul ; qui n’a qu’une robe l’use promptement. Qu’attends-tu, ma fille, de ce nombre un ? Je te citerai de lui plus d’inconvénients que je n’ai d’années sur les épaules. Aies-en donc deux, c’est une agréable compagnie, de même que tu as deux oreilles, deux pieds, deux mains, deux yeux et deux draps sur ton lit, et enfin deux chemises pour changer77. Si tu en veux plus, mieux tu feras, car plus il y a de Maures, plus il y a de profit. L’honneur et pas de bénéfice, ce n’est qu’une bague au doigt, et puisque les deux ne peuvent venir à la fois, accroche le bénéfice et laisse là le reste. Monte, Parmeno, mon fils.

Areusa. Qu’il ne monte pas, la fièvre me tue, je me meurs d’embarras, je ne le connais pas, j’ai honte devant lui.

Célestine. Je suis là pour te l’ôter ; je parlerai pour tous deux, car lui aussi est un autre embarrassé.

Parmeno. Madame, Dieu conserve votre grâce !

Areusa. Gentilhomme, soyez le bienvenu.

Célestine. Approche d’ici, âne ; où vas-tu t’asseoir dans ce coin ? Ne fais pas l’embarrassé ; l’homme honteux, le diable le conduit au château78. Écoutez tous deux ce que j’ai à vous dire : tu sais, Parmeno, mon fils, ce que je t’ai promis, et toi, ma fille, ce que je t’ai demandé : je ne te parle pas de la difficulté que tu as mise à me l’accorder. Je ne veux pas faire de longs discours avec vous, le moment ne le souffre pas. Celui-ci a toujours ressenti peine d’amour pour toi, tu le sais, tu ne veux pas le tuer ; je vois d’avance que tu ne