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Célestine. Vois donc le grand mal et la grande infidélité !

Areusa. En vérité, c’en serait une, car il me donne tout ce dont j’ai besoin ; il m’honore, me soigne et me traite comme si j’étais sa dame.

Célestine. Et malgré tout cela, tant que tu n’enfanteras pas, tu ne cesseras pas de souffrir de ce mal, dont il est peut-être cause. Si tu ne veux pas en croire la douleur, crois la couleur, et tu verras ce qui résulte d’une aussi triste compagnie.

Areusa. Mon malheur l’a voulu ainsi ; mes parents m’ont jeté un sort. Mais laissons cela, car il est tard, et dis-moi quel est le motif de ta venue.

Célestine. Tu sais bien ce que je t’ai dit de Parmeno ; il se plaint à moi de ce que tu ne veux pas le voir, je ne sais pourquoi, car tu n’ignores pas que je l’aime bien et que je le regarde comme mon fils. En vérité, j’agis autrement en ce qui te concerne ; tes voisines elles-mêmes me plaisent, mon cœur se réjouit quand je les vois, parce que je sais qu’elles te parlent.

Areusa. Je t’en suis bien reconnaissante, mère.

Célestine. Je n’en sais rien, je crois aux œuvres, les paroles se vendent pour rien partout où l’on veut ; l’amour ne se paye qu’avec l’amour, et les œuvres avec des œuvres. Tu sais la parenté qui existe entre toi et Élicie, que Sempronio entretient chez moi ? Parmeno et lui sont compagnons, ils servent ce seigneur que tu connais et duquel il pourra te revenir tant de faveurs. Ne me refuse pas ce qui te coûte si peu à faire. Vous êtes parentes, eux sont compagnons ; vois comme tout s’arrange au delà de nos désirs. Il est venu avec moi, décide si tu veux qu’il monte.

Areusa. Ah ! grand Dieu ! s’il nous a entendues…

Célestine. Non, il est resté en bas ; je vais le faire monter, tu le rendras heureux en l’accueillant bien, en lui parlant et en lui faisant bon visage. S’il te plaît,