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ils seront tels en dix années que tu pourras tous les cacher dans ta manche. Jouis de ta jeunesse, ne refuse ni un bon jour ni une bonne nuit, ni bien boire et bien manger quand tu en trouveras l’occasion ; se perde ce qui se perdra. Ne crains pas d’user des biens dont ton maître a hérité ; tires-en profit dans ce monde, nous ne les aurons pas dans l’autre. Ô mon fils Parmeno ! — et je puis bien t’appeler mon fils, moi qui t’ai vu si longtemps à mes côtés, — suis mes conseils, car je te les donne avec le désir sincère de te voir honorablement posé. Oh ! que je serais heureuse si Sempronio et toi étiez plus unis, plus amis et plus frères en tout ! que je serais heureuse si vous veniez ensemble à ma pauvre maison pour me voir, vous reposer et même vous désennuyer avec chacun une fillette !

Parmeno. Fillette, ma mère ?

Célestine. Fillette, en vérité, car moi je suis trop vieille. J’en ai procuré une à Sempronio, et cependant je lui porte moins d’intérêt qu’à toi, je l’aime moins que toi ; tout ce que je te dis, vois-tu, c’est du plus profond de mes entrailles.

Parmeno. Ma bonne mère, je ne te serai point ingrat.

Célestine. Et lors même que tu le serais, je n’en souffrirais pas beaucoup, car j’agis pour l’amour de Dieu, parce que je te vois seul sur une terre étrangère, et aussi par respect pour les ossements de celle qui t’a recommandé à moi ; tu seras homme, tu deviendras raisonnable, sensé, et tu diras : « La vieille Célestine me conseillait bien. »

Parmeno. Je le sens bien maintenant, quoique je sois jeune, et ce que je disais aujourd’hui à mon maître, ce n’était pas pour blâmer ce que tu faisais, mais parce que je voyais qu’il me savait mauvais gré des bons avis que je lui donnais. Pour l’avenir, soyons tous contre lui ; fais des tiennes, je me tairai ; j’ai eu tort de ne pas te croire dès le commencement de cette affaire.