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engendre l’admiration ; l’admiration conçue par les yeux descend de là dans l’esprit ; l’esprit la témoigne par des signes extérieurs. Qui t’a jamais vue dans la rue la tête basse, les yeux fixés sur le sol, ne regardant personne, comme tu faisais tout à l’heure ? Qui t’a jamais vue parlant entre tes dents et marchant avec rapidité comme quelqu’un qui va chercher un bénéfice ? Tout cela est nouveau et doit surprendre quiconque te connaît. Mais laissons cela et dis-moi, au nom de Dieu, quelle nouvelle tu apportes. Avons-nous une fille ou un garçon ? Je t’attends ici depuis qu’une heure est sonnée, et je n’ai pas vu de meilleur augure que ton retard.

Célestine. Mon fils, cette règle des sots n’est pas toujours sûre ; j’aurais bien pu tarder encore et laisser là mon nez et peut-être plus, mon nez et ma langue : ainsi, plus j’aurais attendu, plus il aurait pu m’en coûter.

Sempronio. Par amour pour moi, mère, ne t’en va pas d’ici sans me le conter.

Célestine. Sempronio, mon ami, je ne puis m’arrêter, et le lieu est mal choisi. Viens avec moi chez Calixte, tu entendras des merveilles ; ce serait déflorer mon ambassade que d’en rendre compte à un trop grand nombre de personnes. Je veux que Calixte sache de moi-même ce qui s’est passé ; car bien qu’il te revienne une petite part du profit, je veux tout l’honneur du travail.

Sempronio. Une petite part, Célestine ? Ce que tu dis ne me semble pas bien.

Célestine. Tais-toi, fou, part ou petite part, tu auras autant que tu voudras. Tout ce que j’ai est à toi ; jouissons et profitons, nous ne nous querellerons pas quand il faudra partager. Tu sais bien aussi que les vieux ont beaucoup plus de besoins que les jeunes, que toi surtout qui as ta table mise.

Sempronio. J’ai besoin d’autre chose que de manger.