Page:Rojas - Lavigne - La Celestine.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duisît le Dante, Pétrarque et Boccace, l’infant don Manuel, neveu d’Alfonse le Sage, écrivait le Conde Lucanor, le premier roman de l’Europe, comme les hauts faits du Cid en étaient le premier poëme ; et l’archiprêtre de Hita, Juan Ruiz, humble desservant d’une église de village, lançait dans l’arène un poëme burlesque, aîné de Gargantua de deux siècles[1], et empreint de cette verve satirique, de cette franchise sceptique qui distinguèrent notre Rabelais.

Mais l’art dramatique dormait encore ; tous ses efforts en Espagne, de même qu’en France et en Italie, se bornaient à quelques comédies divines, à quelques autos sacramentales, sans art et sans règles, dans lesquelles la déclamation, le chant, la musique et la danse étaient confondus. Juan Ruiz, tout curé qu’il était, avait tenté le premier de sortir de l’ornière, de laisser là les mystères sacrés et de mettre en scène quelqu’un de ses sujets favoris[2]. Peu après lui, don Pedro Gonzalès de Mendoza, grand majordome de Henri de Transtamarre, cherchait à imiter les pièces de Térence et de Plaute ; le célèbre marquis de Santillane, son petit-fils, écrivait la comedieta de Ponza ; mais ce n’étaient là que des essais informes, nul ne renfermait une scène régulière ou un dialogue susceptible d’être représenté.

La science dramatique se débattait dans ses langes ; elle cherchait à devenir un art alors qu’elle n’était qu’un composé d’essais sans ordre

  1. Guerra de don Carnal y de doña Quaresma.
  2. Las Bodas de don Melon de la Huerta con la hija de don Endrino y de doña Rama, « les Noces de don Melon du Verger avec la fille de don Prunier de Damas et de dame Branche, » petit ouvrage burlesquement dramatique, en cinq autos, écrit en vers hexamètres et pentamètres (1345).