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Dans cet immense fruit :
Le sein palpitant de la Nuit ;
Et, pareil au changeant velours du bois qui semble
Avoir glissé sur les hanches du ciel, ce bruit
D’ombre parait draper une clarté qui tremble…
Son point sourd maintenant s’aile d’or qui reluit,
Grossit, s’approche illuminant le lourd ensemble
D’une masse informe qui trépide, éblouit,
Gronde, fulgure et très obscurément ressemble
À quelque monstre aux durs regards irrésolus
Mais radieux tout ensemble ;
Monstre dont les yeux fous d’épouvante et velus
D’aveuglants rais de lumière, de plus en plus
Grandiraient effarés par la sûre détresse
De se voir dans le noir de gouffres absolus…
Vertigineusement sa silhouette épaisse,
En des nuages bas, ronfle, roule, progresse,
Ensoleille le sol de ses larges clins d’œil
Tranchants comme des faulx et, derrière elle, laisse
Son ombre au loin traîner de longs crêpes de deuil…
Soudain, les nerfs tendus par l’affolante ivresse
De la vitesse, une femme à l’avant, se dresse
Dans un surnaturel sursaut d’intime orgueil
Et, superbe ainsi qu’une Victoire à la proue
Semble pousser du pied devant soi son cercueil.
Mais à la voir sous ces nuages que secoue
L’occulte tournoiement giclant de chaque roue
Dont les éclaboussures scintillent de feux
Et lui nimbent les flancs de rayons nébuleux,
Elle prend l’air d’un spectre aux deux ailes de boue…
Les traits encagoulés par un masque hideux
Qui lui fait un crâne au front sans cils ni cheveux
Où rampent des lueurs verdâtres d’ossuaire
Et que percent trois trous pour la bouche et les yeux,
Le corps enroulé d’un sarrau gris-poussière
Qui moule avec l’exacte rigueur d’un suaire
Sa svelte et fragile taille de sablier,
Dans un tourbillon de songe, elle passe, altière