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 :Et je revois ses bras amaigris et nerveux
Au fond du clair-obscur qu’un rideau tend sur eux,
Sa gorge à moitié nue et presqu’inanimée,
Ses doigts blancs et crispés le long du corps fiévreux
Que, mouillé de sueur, moule un drap qui l’enroule,
Puis, percé de trois trous, pour la bouche et les yeux,
Ce voile de toile hideux
Qui lui fait un crâne au front sans cils ni cheveux,
Comme le masque mort d’une infâme cagoule
Et, dans les orbites ouatés d’ombre et vitreux
De larmes, je devine un regard douloureux
Qui parait me pleurer de suprêmes adieux…

« Non Non ! je me révolte au spectacle odieux
De voir tant d’amour et de charme disparaître
Si laidement !… Non ! Non ! C’est à se haïr d’être ! »
Et je sanglote et je ricane vers les cieux,
Je sens un long frisson d’horreur qui me pénètre
Et la voix haineuse, les dents longues, l’œil fou,
De tout mon être,
Je hurle à cette mort, dans le soir, comme un loup !…

Un bouleau pâle aux bras décharnés, tout d’un coup
S’étire avec des craquements secs de vertèbres
Qui font plonger un cygne, s’enfuir un hibou
Et tressaillir les ténèbres !…
Au loin sous des trembles peureux, l’auguste paix
Du lac redit très bas tous ces échos secrets
De mes angoisses funèbres !…
« Oh ! jamais, ma bonne et ma belle, non, jamais !
Je n’ai tant su, de quel cœur je t’aimais ! »

Pourtant nous vivions deux d’une âme mutuelle !
D’elle je chérissais l’éternité d’instants
Où, durant la langueur d’un silence fidèle,
Sa clairvoyance en moi que l’heure imprégnait d’elle ;
M’avait durablement reflété dans le temps