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UNE MÈRE.

Sa crainte la plus forte, c’était que son fils ne revînt tard, qu’il ne se perdît dans les mornes et ne couchât sur la terre humide encore de rosée ! Ses courses aventureuses l’agitaient, elle écoutait chaque bruit qui pouvait le lui annoncer : celui des oiseaux, du vent, des vagues lointaines. Le devançant quelquefois pour l’attendre jusque près du pont de l’Ester, à la tombée de la nuit, elle y demeurait pensive, comptant et recomptant les minutes avec des grains de maïs, son sablier ordinaire. Vainement les judelles et les râles se jouaient-ils dans les branchages et les lianes autour d’elle, vainement le jakana s’argentait-il à la lune de ses couleurs les plus belles pour raser les plantes flottantes ; absorbée dans son inquiétude, Noëmi ne rêvait qu’à son enfant. Parfois alors il y avait un bruit léger auprès d’elle, comme si quelqu’un passait, elle se levait toute droite et la sueur sur le front, la pauvre mère ! mais c’était pour voir le caïman s’élancer d’un bond à la poursuite d’une tortue fuyarde. Quand elle entendait le chant de Saint-Georges, elle n’y pouvait tenir et se jetait contre terre, bénissant Dieu…

Ce nom de Saint-Georges n’avait pas été donné au jeune mulâtre par une simple préférence de nom, comme il arrive fréquemment aux colonies. Le plus beau navire en rade à la Guadeloupe, lorsque l’enfant y était né, lui avait servi de parrain ; c’était Noëmi qui l’avait ainsi voulu, la plus belle et la plus triste chose à la fois pour une négresse, étant un navire de France, parce qu’il les enlève et les ramène en leur patrie.

Peut-être aussi Noëmi attachait-elle à ce nom