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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

camériste auprès d’une marquise. Platon, qui de sa vie n’avait aimé que Rosette, fut interdit rien qu’en la voyant.

La lettre de M. de Lassis et ses instructions ne lui apprenaient rien sur l’age de la dame qu’il allait complimenter. Était-ce une douairière, une vieille demoiselle ou une jeune femme ? Joseph Platon se demandait à lui-même avec quelle phrase il lui faudrait aborder la marquise de Langey, cette noble hôtesse inconnue que M. de Boulogne, avec une lettre, installait ainsi d’un seul coup dans ses domaines. Il lui vint en pensée que le mieux serait d’attendre qu’elle l’interrogeât lui-même ; il la salua du plus loin qu’il l’aperçut, agitant autour de lui, dans cette obséquieuse salutation, un nuage odorant de poudre à la maréchale.

S’étant annoncé de la sorte dans le salon, le gérant put voir une jeune femme de vingt-cinq années au plus, vêtue de noir comme le serait une femme en deuil. Elle était couchée sur un sopha ou chinnta qu’elle avait fait emballer sans doute avec elle, car Joseph ne reconnut pas ce meuble ; du haut de ce trône, elle causait avec une négresse qui lui chatouillait les pieds. La voluptueuse nonchalance de son regard n’en tempérait en rien la fierté ; il était facile de voir que les moindres désirs de cette femme servaient de lois. Son teint, d’une incomparable blancheur, avait la pâleur mate d’un camée ; la langueur de ses mouvemens, ses cheveux noirs et la finesse de son pied annonçaient une créole. La marquise en demi-toilette n’en parut pas moins à