Page:Roger de Beauvoir - Le Chevalier de Saint-Georges V1, 1840.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

bes en avaient reçu tour à tour la gestion ; mais ils n’en avaient guère respecté les belles futaies, trafiquant avec insolence de tous les produits de son sol. On devinait partout la déprédation et le pillage : les fruits étaient volés par des nègres parasites, même avant leur maturité ; les lambris dorés de la grande case n’avaient point été rafraîchis, c’était un terrain fourragé inhumainement et livré en pâture à la tyrannie mercantile de ses tuteurs. En jetant les yeux sur Joseph Platon pour le nommer économe de cette villa déchue, M. de Boullogne avait plus calculé sur la bêtise de cet homme que sur ses idées ; cette bêtise lui présentait du moins des chances de probité admissibles.

Le premier soin de Joseph Platon avait eu pour objet de discipliner les nègres ; mais il s’était vu bien vite contraint d’y renoncer. Leur malignité ou leur paresse l’avait dégoûté en peu de jours de son projet de législation, qui consistait cependant à les empêcher de prendre des chevaux à l’éperlin pour les monter, à voler le suif de France, leur panacée ordinaire, à ne point battre leurs mères et à jouer de mauvais tours aux fermiers. Dès lors Joseph Platon s’était résolu à employer envers eux les voies de rigueur, qui étaient alors plus que jamais de mode aux Antilles. La seule chose qu’il leur passât, c’était un calenda sur les bords de l’Ester, et la chasse, quand ils lui rapportaient du gibier. Joseph Platon, malgré ses lunettes vertes et la dignité de son emploi, estimait singulièrement cet exercice.

Vêtu d’une vareuse, espèce de camisole large, d’une