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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

traité de 1763 était destiné à trouver, comme on sait, Saint-Domingue inculte et dépeuplé ; plus de la moitié des esclaves avait péri. Les nègres marrons se multipliaient déjà avec succès vers cette époque, et, bien qu’ils ne tentassent aucune excursion dans la plaine, on pouvait prévoir en partie leurs succès futurs.

Au temps de cette histoire, il n’y avait guère cependant que les clairvoyans et les désintéressés qui s’inquiétassent de ces choses. L’orage intérieur était sourd ; partout dans chaque veine de cette île, fastueusement nommée la reine des Antilles, bouillonnait la lave qui devait un jour l’engloutir ; mais nul signe extérieur n’avait paru. Imprévoyante de tout, même de la famine, cette colonie se ruinait et se consumait elle-même comme l’antique Gomorrhe. Ses habitans se nourrissaient d’ambitions mercenaires et sacrifiaient tout à la soif de l’or. C’était bien encore, si on le voulait, ce sol fertile, cet Éden aux fruits d’azur, ces ruisseaux nourriciers et ce soleil fécondant ; c’était bien cette terre ouverte au travail et à l’industrie, qui fournissait tant au commerce et à l’échange, cette nature prodigue et créatrice qui regardait l’homme comme la mère regarde ses fils ; mais aussi c’était le siège des trafics couverts et des lois insuffisantes. Le publiciste qui a dit, en parlant des colonies, que dans l’ordre politique une colonie est ce qu’est un enfant dans l’ordre civil, eût trouvé Saint-Domingue la plus incorrigible et la plus gâtée des filles. L’autorité lui paraissait un joug dur, ses agens l’importunaient. Sa fierté créole en était venue à