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FÊTE À LA COLONIE.

contre lequel il doit pointer le bout de sa lance. Plantée sur un pivot mobile, cette figure, quand on ne l’atteint pas au milieu, tourne aisément et frappe le cavalier d’un sabre de bois peint en rouge. Or, non-seulement le nouveau cavalier n’encourt pas une seule fois cette vengeance, qui donne à rire à la foule, mais il manœuvre son cheval avec une habileté exquise, c’est la grâce du blanc et la force du nègre ; il courbe le front sous les bravos et les bouquets… C’est à qui le proclamera le roi de la fête, il n’écoute rien et va toujours… La fureur étrange avec laquelle il s’attaque à cette tête de nègre semble une chose inexplicable aux spectateurs, on dirait que cette vue a rallumé dans lui quelque colère ou quelque vengeance. Faisant volter son cheval avec toute la grâce d’un écuyer consommé, il s’arrête enfin devant la loge de M. le prince de Rohan et s’élance vers les gradins où siège Mme  de Langey…

Alors, seulement alors, un frisson subit s’empara de la marquise ; jusque-là elle s’était vue dominée par l’admiration.

— Quel prix choisissez-vous, monsieur ? dit le prince de Rohan.

— Je demande pour toute faveur qu’il me soit permis d’embrasser celle que je voudrai, dit le jeune homme.

Il avait balbutié ces mots avec l’accent créole, un accent plein d’ingénuité et de douceur. Les femmes s’entre-regardèrent confuses et charmées d’entendre le vainqueur parler ainsi.

À plus d’une prunelle il jaillit alors un rayon d’es-